mardi 30 janvier 2007

OVNI et parasociologie?

Quelques réflexions supplémentaires tirées de discussions sur l’excellent forum Paranormal-info.com.

Hansen, dans son livre "The Trickster and the Paranormal", explique l’élusivité des phénomènes paranormaux en les décrivant comme des objets ontologiques hybrides, qui se situent à l’interstice de deux mondes, de deux réalités. C’est cette situation ontologique qui crée ce que j’appelle l’effet dynatique, à savoir qu’en étant entre deux réalités, il y a état déstructuré ou déstructurant. Ainsi, le psi, compris comme information temporairement libérée de ses structures, peut être observé comme phénomène. Par exemple, la télépathie est expliqué comme un transfert d’information entre deux personnes (ou plus) mais qui ne semble en aucun cas affecté par la distance physique, ni même le temps. Ainsi, la télépathie est à la fois un objet communicationnel, et un affect (c.-à-d. qui est de l’ordre de l’émotion et donc sans lien avec le temps et l’espace).

Si le paranormal est donc du domaine de l’interstice, il pourrait être envisageable que son étude soit aussi du domaine de l’interstice. Pour aider à pousser cette réflexion plus loin, une typologie utile est celle de Cornelius Castoriadis. Ce dernier distingue quatre étants, ou champs ontologiques fondamentaux, à savoir le monde physique, biologique, le social-historique, et la psyché-soma. Chaque étant n’est pas réductible épistémologiquementà l’autre. Par exemple, on ne peut expliquer les écosystèmes naturels à partir de la physique quantique, ni expliquer les stratifications sociales à partir de la psychanalyse.

En gardant cette typologie à l’esprit, le paranormal pourrait se décrire comme un champ ontologique à la jonction des quatre autres. La parapsychologie a bien sûr démontré que les phénomènes psi ont des assises dans la psyché-soma. Mais le paranormal couvre aussi des questions qui touchent à l’univers physique, comme la matérialisation, les poltergeists et les ectoplasmes. D’une manière similaire, le monde biologique est aussi touché par le paranormal, que ce soit les questions de guérisons inexplicables ou les apparitions d’entités étranges, documentées depuis la nuit des temps. Il reste donc les liens avec le social-historique.

Les recherches sceptiques qui invoquent des analyses dites psychosociales offrent, curieusement, une porte d’entrée. Certains phénomènes paranormaux de grande ampleur, que les parapsychologues nomment du macro psi, ont clairement de aspects qui ne peuvent se comprendre que par une approche sociologique. L’évolution des vagues d’observations OVNI, passant de dirigeables à la fin XIXe - début XXe, aux avions fantômes des années 1930, et aux fusées fantômes de l’après 2e Guerre mondiale semblent indiquer des interactions qui s’expliquent mieux en passant directement à un niveau d’analyse sociologique. Jacques Vallée a aussi démontré que les témoignages sur les occupants des OVNIs sont très similaires aux récits folkloriques de lutins et de farfadais. Les apparitions mariales semblent aussi avoir des propriétés du même ordre.

Pour revenir à la question OVNI, une analyse basée sur une ontologie hybride pourrait se concevoir. Par exemple, un conflit social non-résolu et non-exprimé pourrait se constituer en inconscient collectif (compris ici dans un sens beaucoup plus large et souple que Jung et Freud), et s’exprimer en “psi social” que l’on décrirait comme des OVNIs. Les témoins individuels n’ont rien à voir de particulier avec l’inconscient collectif. Ainsi, on a une observation de l’ordre de la psyché-soma d’un phénomène de l’ordre du social-historique. Cela n’est pas en soi nouveau. Le témoins individuels et sophistiqués d’évènements historiques majeurs se trouvent dans la même situation. Mais ce qui est plus intéressant est qu’une ontologie hybride appelle aussi à une épistémologie hybride, si on veut éviter les pièges du réductionisme. Ainsi, une union inusité de la parapsychologie et d’une “parasociologie”, qui reste à encore à définir, serait nécessaire pour développer des explications plus appropriées d’un phénomène comme les OVNI.

Ici, bien entendu, il faut prendre un grand respire, car l’idée même d’épistémologie hybride va complètement à l’encontre de la pensée occidentale, car cela conduit directement au paradoxe. Comment peut-on réconciller des prémisses de base qui s’opposeraient dans un tel construit? Comment la preuve peut-elle être faite dans un contexte où on fait face à des notions de preuve divergeantes? Comment établir un tel discours qui pourrait demeurer au sein des discours considérés comme fondés sur la raison, ou posé autrement, est-ce qu’une épistémologie hybride n’est pas un autre nom pour le mysticisme? Voilà quelques enjeux de taille, mais qui me semblent pointer dans une direction intéressante, et qui pourraient mettre à contribution la sociologie dans l’étude des phénomènes paranormaux, en eux-mêmes, et pas seulement la croyance en ces derniers comme c’est la cas actuellement.

dimanche 28 janvier 2007

Les yeux grands fermés

Par Stéphan

Ce billet est une introduction à la nébuleuse parapolitique 9/11...

C'est un sujet qui m'intéresse depuis à peine une année et demi. Était-ce en juin ou juillet 2005, je m'étais procuré l'ouvrage The 9/11 Commission Report: Omissions And Distortions de David Ray Griffin, n'y voyant rien de plus qu'une lecture d'été parmi d'autres. Erreur monumentale... Ce livre devait non seulement bouleverser ma perspective sur les événements du 11 septembre, il posa les premiers jalons d'un travail de recherche qui occupe depuis ce temps une part appréciable de mes activités de lecture.

Un nombre croissant d'ouvrages, de recherches, d'analyses et de documentaires sont consacrés au sujet. Le corpus constitué est bien sûr d'inégale valeur et là comme ailleurs il faut savoir faire le tri. Pour ma part, je recommande les quelques oeuvres suivantes (que j'ai lues - je ne peux me prononcer sur celles qui me restent à lire) dont certaines sont traduites en français :

De David Griffin :

The New Pearl Harbor: Disturbing Questions about the Bush Administration and 9/11 (disponible en français : Le Nouveau Pearl Harbor).
Omissions et manipulations de la Commission d'enquête sur le 11 Septembre (traduction de l'ouvrage susmentionné au premier paragraphe).
9/11 and American Empire: Intellectuals Speak Out (édité par Griffin et Peter Dale Scott).

Michael Ruppert, Crossing the Rubicon: The Decline of the American Empire at the End of the Age of Oil (un travail de fin limier. Traduction en deux tomes : Franchir le Rubicon. Le déclin de l'empire américain à la fin de l'âge du pétrole. La sortie du 2e tome se fait toujours attendre - la version originale est une brique de 675 pages).

Paul Thompson, The Terror Timeline: Year by Year, Day by Day, Minute by Minute: A Comprehensive Chronicle of the Road to 9/11--and America's Response rant 9/11 (l'ouvrage de référence sur la chronologie des événements entourant 9/11).

Pour une introduction encore plus concise, j'ajoute les sites web suivants :

http://www.cooperativeresearch.org/project.jsp?project=911_project
(la chronologie des événements reconstituée par Paul Thompson. Sources et références exhaustives. Une mine d'or...).
http://911research.wtc7.net/
(un des trois sites pilotés par Jim Hoffman et son équipe. Les analyses y sont rigoureuses, bien documentées et régulièrement mises à jour).
http://www.911truth.org/links.php
(une liste annotée de sites web suggérés par 911Truth, fer de lance web du mouvement du même nom).

Et un documentaire qui compte : 9/11: Press for Truth (visionnement intégral disponible sur Google Video)

Ces ouvrages et ces sources se veulent autant de voie d'entrée du sujet et ils en étudient autant de facettes. Vous cherchez une enquête policière réalisée par un ancien agent de police ? La brique de Ruppert est un must. Vous désirez une analyse critique du rapport de la commission Kean par un philosophe ou un théologien ? L'ouvrage qu'y consacre Griffin est incontournable. Vous cherchez un examen du terrorisme d'État et des opérations clandestines du point de vue d'un historien ? Synthetic Terror : Made in USA - nouvellement traduit : La Terreur Fabriquée, Made in USA : 11 Septembre, le mythe du XXIe siècle - de Webster G. Tarpley est pour vous. Vous vous intéressez plutôt à la géopolitique et à l'histoire des liens entre les services de renseignement occidentaux et Al Qaeda ? La lecture de The War on Truth: Disinformation and the Anatomy of Terrorism et de The War on Freedom: How and Why America was Attacked du politologue Nafeez Mosaddeq Ahmed s'impose. Vous préférez aborder le sujet dans le cadre des enjeux de la mondialisation ? Jetez un coup d'oeil à America's "War on Terrorism" de l'économiste Michel Chossudovsky. Vous n'avez jamais entendu parler de ces livres ? Vous vous interrogez sur l'étrange silence médiatique à leur égard et l'absence généralisée de journalisme d'enquête au sujet de 9/11 ? Mettez la main sur Towers of Deception: The Media Cover-Up of 9/11 du journaliste Barrie Zwicker.

[Vous êtes amateur de livre de fiction ? The 9/11 Commission Report: Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks Upon the United States vous promet des heures de plaisir... Les 568 pages de lecture vous rebutent ? Le rapport de la commission est maintenant disponible... en version bande-dessinée : The 9/11 Report: A Graphic Adaptation].

Les voies d'entrée sont multiples donc, et le sujet immense. J'ai buté et bute toujours sur la façon la plus économe de le présenter et d'en proposer l'analyse.

J'avais d'abord pensé faire une énumération succincte et schématique des anomalies et des faits incriminants de l'affaire. Plusieurs listes de ce genre sont disponibles sur le Web. Parmi elles, il y a l'énumération en 115 points par David Griffin des omissions, contradictions et mensonges de la commission Kean (traduction française ici), les 100 questions du Family Steering Commitee adressées à la commission Kean, les 40 raisons avancées par les collaborateurs du site 911Truth.org pour douter de la véracité de la version officielle, et l'hilarant (quoique ce n'est pas parce que l'on rie que c'est drôle) Coincidence Theorist's Guide to 9/11 de Jeff Wells. Je pourrais aussi y ajouter les libellés de diverses pétitions en ligne exigeant une réouverture de l'enquête.

Ces listes requièrent cependant une connaissance préalable du dossier (présupposée et imposée par le schématisme des points énumérés). Et encore me fallait-il trouver le bon angle d'approche et un bon fil conducteur. J'ai donc pensé rédiger un texte expliquant et justifiant mon avis sur 9/11. Mais, celui-ci étant justement le fruit de mes lectures et de mes réflexions sur le sujet, la manœuvre se faisait circulaire et m'obligeait à déballer et déployer un à un les arguments le soutenant.

Dilemme.

Pour dénouer cette impasse, j'ai choisi d'aborder le sujet sur son front parapolitique, en y affrontant ce que je pense être la difficulté principale et paradigmatique : l'impossibilité de mettre publiquement en question le récit officiel des événements.

C'est que la vérité de ce récit, quoiqu'elle vaille, n'est pas sujette à débat. L'interrogation, la contradiction et la dissension affichées n'y sont pas permises et sont objet de sanctions. Qui se risque à ouvrir ou à suggérer l'ouverture de l'interrogation est soit ignoré soit (dis)qualifié de conspiracy theorist, l'étiquette assassine et le stigmate par excellence.

L'accusation de complotisme est d'ailleurs indicatrice de ce discours barré et aveugle à la contradiction puisque la version officielle... est elle-même une théorie du complot ! Parce que 19 agents d'Al Qaeda qui se préparaient activement, clandestinement et depuis deux ans à frapper, sous la direction d'un vieillard multimilliardaire terré sous une montagne, c'est cela même : une théorie du complot. Asymétrie que de ne pas le reconnaître et de réserver cette étiquette aux seuls discours des sceptiques, des incroyants et de ceux qui soutiennent qu'il y a eu complicité maison. Et pour cause : reconnaître cette contradiction déroberait la version officielle des événements de son statut privilégié (ou, ce qui revient au même, soulagerait les versions alternatives de leur statut stigmatisé).

Cette difficulté de parrhesia, ce refus d'élucidation, cette dénégation conceptuelle tracent eux-mêmes les contours d'un problème fort désagréable à penser. D'aucun mettent en cause une quelconque barrière psychologique empêchant toute mise en question de la thèse officielle des attentats. Je pense que ça fonctionne bien comme ça - je ne peux que trop l'observer autour de moi - mais, nonobstant les exigences de la psyché, les explications psychologiques de cette inhibition généralisée ne me satisfont pas. Elles sont réversibles et s'appuient toujours sur ou des schèmes de pensée ou des représentations socialement maintenues et partagées. Si le refoulement est collectif, cherchons d'abord ce qui y circule et ce qui y fait obstacle à l'interrogation.

A suivre...

dimanche 21 janvier 2007

Thèse paranormale en ufologie

Texte par Eric

Suite à quelques lectures supplémentaires, il y a un certain nombre de points qui sont devenus plus clairs.

Je savais que la thèse paranormale (TPN) était mal aimée dans les milieux ufologiques, lesquels constituent déjà un champ de savoir marginal. Mais je découvre que la TPN est elle aussi sous-divisée en courants qui ne se parlent guère entre eux. Les travaux de Jacques Vallée, en particulier son livre Passport to Magonia (1969), et ceux de John Keel, en particulier Operation Trojan Horse (1970), ouvrent la voie à l’étude des OVNI sous un angle paranormal. Pourtant, dans le monde anglophone, on aura surtout retenu l’idée d’ultraterrestres de Keel (Vallée est plus nuancé sur l’origine des occupants des OVNI), qui seraient des entités qui partagent la Terre sous une forme dimensionnelle distincte de la nôtre mais qui interagissent avec nous à l’occasion.

Le courant qui veut étudier les OVNI comme des manifestations psi macroscopiques (et donc plus près de l’analyse parapsychologique), me semble surtout d’origine française. C’est la traduction en français de livre de Vallée sous le titre « Chroniques des apparitions extra-terrestres » qui encore une fois ouvre la voie, mais elle est surtout récupérée par les parapsychologues du GERP, (Groupe d’étude et de recherche en parapsychologie) qui y voit un phénomène réel et physique, mais essentiellement d’origine humaine (c.-à-d. émanant de la psyché humaine). Il y a un certain nombre de travaux intéressants qui sont produits dans les années 1970 et 1980. Mais l’intérêt semble s’être relâché durant les années 1990.

Quelques textes dignes de mention :
  • Viéroudy, Pierre (1978) « Vagues d'Ovnis et psi collectif ». Revue de Parapsychologie N°6, juillet.
  • Viéroudy, Pierre (1978) « Les témoins d'Ovnis sont-ils des sujets psi ? » Revue de Parapsychologie N°6, juillet.
  • Favre, François (1978) “Caractère généraux des apparitions” Revue de Parapsychologie N°6, juillet.
  • Viéroudy, Pierre (1983) « Signification archétypique des apparitions OVNI ». Revue de Parapsychologie n° 15, août.
  • Velasco, Jean-Jacques (1991) « Ces OVNI qui nous entourent ». Revue française de psychotronique Vol. 4, No. 4.
Cependant, il existe un intérêt nouveau pour l’approche parapsychologique dans l’étude du phénomène OVNI dans le monde anglophone. Il y a bien entendu le livre de Hansen, déjà mentionné, mais aussi quelques travaux australiens intéressants. Par exemple :
  • Basterfield, Keith et M.A. Thalbourne (2001) “Belief in, and Alleged Experience of, the Paranormal in Ostensible UFO Abductees” Australian Journal of Parapsychology 2(1): 2-18.
  • Harvey-Wilson, Simon (2001) “Shamanism and Alien Abductions: A Comparative Study”. Australian Journal of Parapsychology 1(2): 103-116.
  • Basterfield, Keith (2001) “Paranormal Aspects of the UFO Phenomenon: 1975-1999”. Australian Journal of Parapsychology 1(1): 30-55.
Ces travaux australiens reprennent sans le savoir les recherches entreprisent par l’Autrichien Alexandre Keul et le Britannique Ken Phillips qui, durant les années 1980, se sont penchés sur la personnalité des individus qui ont des expériences OVNI. Leurs recherches (connues sous le nom de Protocole anamnesis) tendent à démontrer que la seule caractéristique que ces individus partagent est qu’ils ont tendances à avoir plus d’expérience psi que la moyenne. Voir Phillips, Ken (1993) “The psycho-sociology of ufology”, dans D. Barclay et T. M. Barclay (dirs.) UFO: The Final Answer? Londres: Blandford, pp. 40-64. Des travaux similaires par des chercheurs de l'Université Carleton d'Ottawa arrivent à la même conclusion. Voir Spanos, N.P. et al. (1993) "Close encounters: an examination of UFO experiences". Journal of Abnormal Psychology 102(4):624-32.

Bien que l’intérêt pour le phénomène OVNI dans une perspective parapsychologique demeure minoritaire dans un champ déjà minoritaire au sein de l’ufologie (la TPN), il y a déjà des travaux en place qui nous évitent de partir de zéro. Il est aussi à noter qu’autant Vallée, que les parapsychologues français, que Keul et Phillips, et Hansen appellent la sociologie à s’investir dans ces recherches. Leur appel a été entendu.

dimanche 14 janvier 2007

Théories du complot et parapolitique

Par Stéphan

Le faux est le faire-valoir du vrai
Bruno Latour -
Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique

Il en va des théories du complot comme de toute chose honteuse en ce bas monde : elles font vendre auprès du public mais elles ont bien mauvaise réputation auprès des cercles journalistiques et universitaires. Négligées ou méprisées par les travaux des sciences sociales universitaires, ces théories sont en quelque sorte le no man's land des sciences politiques : il s'agit précisément de théories auxquelles la politologie conventionnelle ne se frotte pas.

Si d’aventure, sociologues, historiens, psychologues, philosophes, épistémologues et autres vidangeurs des sciences sociales s'intéressent au sujet, c'est généralement dans le but de savoir pourquoi il se trouve des gens qui croient (je souligne) à de telles théories. Ils répondent ensuite à grands renforts d'explications sociologiques, historiques, culturelles, psychologiques et tutti quanti : l'aliénation et l'individualisme moderne, le nihilisme postmoderne, le vide et le ressentiment contemporain, le racisme et la haine de l'Autre, la mauvaise influence des médias, l'ignorance scientifique, le besoin de croire que, dans un monde hors de contrôle, quelqu'un quelque part est vraiment en contrôle, l'irrationalité, la folie, etc., sont autant de ces explications proposées.

En d'autres mots, ils n'abordent pas ces théories selon leurs mérites propres mais en tant que symptômes ou d'un malaise social ou des problèmes mentaux de ceux qui en font la promotion.

Cette littérature savante et sanitaire n'est pas toujours sans intérêt mais elle est justement beaucoup plus intéressée qu'elle ne l'admet : elle part de la double prémisse (donc sans en faire la démonstration préalable) que les versions "officielles" des événements sont toujours nécessairement justes et que les théories du complots qui les mettent en cause toujours nécessairement fausses ; elle s'intéresse aux croyances des conspiracy theorists mais non aux croyances des "coincidence believers" ; elle met en cause la vision du monde et les ressorts psychologiques de la pensée des premiers mais elle ne soumet pas la vision et les motivations psychologiques des seconds, ni les siennes propres, à la même analyse.

Cette littérature est profondément asymétrique : elle ne place pas les théoriciens du complot et leurs adversaires sur un même pied d'égalité initial, elle n'analyse pas les croyances des uns et des autres (et celles auxquelles elle adhère implicitement) dans les mêmes termes, et elle se fixe justement sur les seules croyances au détriment de l'investigation de l'objet même des dites croyances. Elle logothéorise sur les représentations du monde et les processus mentaux des conspiracy theorists, mais rarement se salira-t-elle les mains à enquêter sur le terrain ou se risquera-t-elle à examiner le bien fondé des pièces à convictions mises de l'avant par ces derniers. Du reste, pourquoi le ferait-elle alors que la cause est entendue et jugée d'avance ?

Objectivement parlant, cette asymétrie est une forme de contrôle du discours et ses auteurs jouent le rôle de "chien de garde" des pouvoirs institués. Tel est l'effet de cette parole gelée et (dé)moralisante qui disqualifie derechef toute prétention du discours interpellé à dire le monde et qui le confirme publiquement dans sa déviance (morale, psychologique, culturelle, voire par rapport au droit chemin de la Raison, whatever that means)

***

Comment mettre fin à l'asymétrie ? Comment rétablir justice et probité intellectuelle ?

Je propose en premier lieu l'usage de la notion, non nouvelle mais peu utilisée en français et que marginalement en anglais, de parapolitique.

Le terme de parapolitics fut originalement devisé par Peter Dale Scott, diplomate canadien de carrière, professeur retraité de Berkeley et auteur de plusieurs livres sur la criminalisation de la politique. Dans un ouvrage datant de 1972, The War Conspiracy, Scott en proposa la définition suivante :

"1. A system or practice of politics in which accountability is consciously diminished. 2. Generally, covert politics, the conduct of public affairs not by rational debate and responsible decision-making but by indirection, collusion, and deceit (...) 3. The political exploitation of irresponsible agencies or parastructures, such as intelligence agencies (...) The Nixon doctrine, viewed in retrospect, represented the application of parapolitics on a hitherto unprecedented scale."

La parapolitique désigne donc à la fois : une pratique politique en déficit d'imputabilité ; des activités politiques clandestines, cachées du public, menées sous les signes du subterfuge, de la diversion, du mensonge, de la collusion et de l'utilisation politique d'organisations n'opérant pas sous le regard scrutateur des élus. Les agences de renseignement - Scott avait d'abord en tête la CIA - se veulent le prototype de pareilles organisations mais, en cette ère de sous-traitance militaire et de services de renseignement, il en va de même des corporations et des contracteurs privés dont il s'agit du fond de commerce.

Scott jugea ultérieurement, dans son ouvrage Deep Politics and the death of JFK, la notion de parapolitics trop limitée par ses connotations conscientes et intentionnelles, dirons-nous "complotistes". Il en fit dès lors une modalité particulière d'un nouveau concept, celui de deep politics, désignant cette fois les pratiques et les arrangements politiques, délibérés ou non, qui sont généralement inavoués et refoulés du discours et de la conscience publique.

C'est que dans toute culture et toute société, il existe, dit-il en un retour de symétrie vis-à-vis les vidangeurs des croyances déviantes, des faits qui sont collectivement refoulés en raison des coûts sociaux et psychologiques qu'entraînerait leur reconnaissance.

Cette refonte conceptuelle distingue aussi les deep politics des "théories du complot" telles qu'elles sont communément comprises. A la prise en compte des aspects non intentionnels, imprévus et proprement inconscients de ces activités clandestines, Scott ajoute que les acteurs n'opèrent pas au sein d'une même structure occulte unifiée. Sont à l'oeuvre des individus et des groupes s'assemblant provisoirement et coopérant selon leurs intérêts (le maintien du statu quo servant souvent de terrain d'entente). Au final, l'analyse des deep politics pose un champ de pouvoir ouvert et fragmenté.

Rapidement, les assassinats politiques des années 60 aux USA, les scandales de Watergate, d'Irangate et l'affaire Iran/Contra, les liens entre la CIA, les trafiquants d'armes et les narco-trafiquants sud-américains sont autant d'exemples de ces deep politics en action. Je pense fermement que c'est aussi le cas des attentats, toujours non élucidés, du 11 septembre... un sujet d'enquête auquel je reviendrai régulièrement.

C'est la voie de recherche que je propose. Parce que je ne lui connais pas de traduction heureuse en français ("politiques profondes" ?), je la désignerai plutôt du terme générique de parapolitique en en précisant au besoin les modalités intentionnelles ou non.

samedi 13 janvier 2007

Ufologie, sociologie et dynatique

par Eric

Un livre intéressant sur la question du dynatique est ce lui de George Hansen, The Trickster and the Paranormal. Bien qu’il n’utilise pas le vocable “dynatique”, ses idées sur le paranormal couvrent le même concept de déstructuration, qui constituent une condition nécessaire d’émergence du psi. Quoique ce livre s’adresse à un lectorat instruit, je le recommande à tous ceux qui s’intéressent au paranormal.

Hansen, dans son livre, cite un des rares exemples de recherche sociologique sur les OVNIs qui tente de regarder le phénomène en lui-même, et non pas seulement la croyance en ce dernier. Martin Kottmeyer dans un article intitulé “UFO Flaps” dans The Anomalist 1995-1996 (no. 3, pp. 64-89) étudie les conditions politiques et sociales durant les vagues d’OVNI, et conclut que la perte de la “fierté nationale” semble être associée à ces vagues. Par exemple, aux États-Unis celle de 1957 semble liée au lancement de Sputnik, celle de 1966 à la montée des manifestations contre la guerre au Viet-Nam, et celle de 1973 au scandal du Watergate. En dehors des États-Unis, on peut penser aussi à la vague de 1954 en France dans le cadre de la défaite en Indochine.

C’est un excellent point de départ, et c’est le genre de recherche que je pense entreprendre depuis un certain temps. Bien sûr, il y a un bon nombre de difficultés à surmonter. Par exemple, qu’est-ce que constitue une vague d’OVNIs? L’approche implique aussi le concept d’inconscient collectif, et de psi collectif, qui posent des problèmes de définitions et des difficultés méthodologiques pour identifier leur contenu. Mais une approche heuristique, empirique et progressive pourra probablement permettre de développer une telle analyse avec le temps.

Un autre point de départ pourrait être non pas la perte de fierté nationale, mais la nature déstructurante des angoisses collectives devant l'inconnu. Dans la mesure où le psi est fait d'information non-structurés, ces périodes de transitions où les paramètres collectifs sont remis en cause créer de conditions déstructurantes propices à l'observation du psi. Ces angoisses collectives semblent souvent liées à la sécurité collective, au sens large, et il est intéressant de voir que par un effet mirroir le phénomène OVNI est souvent étudié dans le cadre d’atteinte à la sécurité nationale via la violation de l’espace aérien (que ce soit par les autorités ou les ufologues de l’approche "tôle et boulons" et de ceux qui versent dans la théorie du complot). Le psi, en tant que phénomènes humains peut aussi être réflexif. Quelques exemples supplémentaires qui pointent dans cette direction: la vague de 1947 aux É.-U. et la formalisation de la doctrine Truman, et donc le début de la Guerre froide; celle de 1952 au-dessus de Washington et le risque d’une guerre nucléaire contre le bloc communiste dans le cadre de la guerre en Corée; celle de 1966-1967 au Canada et le début angoissant d’une nation prennant conscience d’elle-même (adoption du drapeau, Fêtes du centennaire, Expo 1967, etc); celle de 1990-1991 en Belgique et la fin de la Guerre froide et le début du “nouvel ordre” mondial dans la foulée de la victoire triomphale suite à la Guerre du Golfe; la vague de 2003 dans le nord du Chili et la première participation de Morales aux élections présidentielles de Bolivie en 2002, qui réintroduit la vieille dispute entre la Bolivie et le Chili sur l’accès à l’océan.

Pour ce genre de recherches, il faut surtout éviter les pièges épistémologiques du positivisme logique, et du falsificationisme. Il faudra accepter que toutes les angoisses collectives ne mènent pas nécessairement à des vagues d’OVNIs, ni même à des manifestations paranormales. De plus, si la parapsychologie est juste dans sa prémisse que le psi fonctionne en dehors de notre conception usuelle du temps (c.-à-d. le futur peut influencer le présent, et que le passé peut être influencé par le présent), l’accordement temporel entre les évènements ufologiques et la montée des angoisses collectives n’est pas nécessairement synchronisé.

dimanche 7 janvier 2007

Qu’est-ce que le dynatique?

Texte par Eric

Qu’est-ce que le dynatique?

Le dynatique est un concept abstrait pour décrire des phénomènes qui impliquent l’actualisation d’un potentiel par déstructuration.

Ouf! Qu’est-ce que cela veut dire? Et en quoi cela rime avec parapsychologie, ufologie et parapolitique?

Allons-y progressivement.

C’est un nouveau mot, un néologisme dont je prends tout la responsabilité d’avoir créer. Dynatique vient des mots grecs “duna” et “tikos”, qui veulent dire respectivement “puissance, pouvoir potentiel, force latente” et “propre à”. Ainsi, le dynatique est ce qui touche à la nature intime de la puissance. Mais il est important de souligner ici ce que l’on entend par puissance. Le Petit Robert définit la puissance comme “virtualité, possibilité”, et plus particulièrement ce mot est utilisé ici dans le sens de “en puissance” qui est définit comme “qui existe sans se manifester, qui est sans effet actuel”.

Le dynatique implique aussi le propre de la puissance, sa nature intime. La puissance n’est perceptible seulement que lorsqu’elle s’actualise, lorsque la force cesse d’être latente. Ainsi, dans un système physique classique, par exemple, la puissance s’actualise quand de l’énergie est transformée en mouvement. Ainsi la puissance d’un moteur est toujours une abstraction, mais s’actualise lorsque le moteur transforme l’énergie contenue dans l’essence en mouvement des roues de l’automobile. La puissance est donc un phénomène tacite, mais qui plus est, ne peut s’actualiser que dans un contexte de déstructuration. L’essence se déstructure en gaz et pousse sur les pistons. Le même phénomène se produit lors de la fission nucléaire. L’atome d’uranium se déstructure et ainsi libère un potentiel énergétique.

Les phénomènes d’ordre dynatiques existent aussi dans l’univers humain, tant au niveau individuel que collectif, souvent libérant des forces incontrôlables. Les phénomènes psi étudiés par la parapsychologie ont tendance à être dynatique. Selon plusieurs parapsychologues, dont Rhine, le potentiel psi réside dans l’inconscient, c.-à-d. dans le monde de l’irrationnel, de l’imaginaire, du symbolique. C’est lorsque la conscience est dans un état déstructurant, ou moins structuré, que le psi de l’inconscient se libère et s’observe le plus souvent. Par exemple, les artistes tendent à avoir des résultats plus élévés que la moyenne dans les tests parapsychologiques de laboratoire. Les états de conscience altéré, que ce soit par méditation, drogues, rituels, ou danses qui consuisent à des états de trance, tendent à rendre les individus plus sensibles à l’expérience du paranormal. C’est ainsi que le chamanisme est expliqué. Les cas de poltergeist sont souvent associés à des crises familiales impliquant des jeunes à l’âge de la puberté. Les normes et les valeurs de la famille se déstructure, et la personnalité de l’adolescent se déstructure car en transition vers celle de l’âge adulte.

Au niveau social, les phénomènes d’ordre dynatique sont moins bien connus, et certainement méritent des recherches plus approfondies. Un exemple dynatique plus prosaïque est celui de la Nouvelle-Orléans suite à l’ouragan Katerina. L’ordre social s’est déstructuré, relâchant un grand potentiel humain, qui alla de la bravoure extrême à la barbarie la plus infâme. Les guerres en général répondent à ce même effet dynatique de bravoure et de barbarie.

Dans un domaine encore bien mal compris on peut aussi observer des situations dynatiques impliquant le psi collectif. L’inconscient collectif (tel que Jung le théorise) semble aussi être un réservoir psi qui s’active par déstructuration sociale. Les apparitions de la Vierge en Yougoslavie à l’aube de la destructuration du pays et de son ordre social, ou encore les vagues d’ovnis à la fin de la guerre froide en Belgique, centre nerveux de l’OTAN, constituent des exemples qui pourraient être d’ordre dynatique.

L’intérêt pour les grandes conspirations, et les mouvances sociales inspirées par le parapolitique, sont des forces déstructurantes pour l’ordre social. La vérité, le plausible, le secret, le complot, le mensonge, la désinformation s’y mêlent au point où il n’est plus possible d’avoir confiance aux institutions sociales. Le potentiel humain de ces mouvements déstructurants demeure un terrain d’enquête sociologique à explorer.

En dernier lieu, soulignons que les effets dynatiques se produisent dans des périodes de transition, ou entre deux contextes structurant. En un sens, le dynatique n’est pas nécessairement synonyme de chaos, mais plutôt de réagencement des structures, de renouveau et de renaissance. Dans l’univers humain, ce réagencement ne semble pas déterministe dans la mesure où le potentiel réside dans l’univers de l’inconscient et de l’irrationnel.