lundi 12 mars 2007

Hypothèse parapsychologique en ufologie – Autres réflexions

Il m’apparait maintenant évident que pour développer des théories scientifiques pour étudier les OVNI, il faut produire des faits scientifiques. Ici, il faut entendre des faits scientifiques au sens de la sociologie du savoir scientifique, à savoir des faits qui se situent au-delà des observations au premier degré. Pierre Lagrange donne dans Inforespace de juin 2000 une excellente explication de ce que l’on entend par fait scientifique.

Ce constat, pourtant évident, est aussi annociateur d’isolement car la vaste majorité des ufologues ne sont pas intéressés à produire des faits scientifiques, mais plutôt à produire des faits qui ont l’apparance scientifique (p.ex. les formulaires d’observations contiennent des éléments comme l’altitude, vélocité, trace de radioactivité, etc.). Ce mimétisme scientifique en ufologie a déjà été étudié, il n’est donc pas utile d’en discuter davantage.

La production des faits scientifiques est, bien entendu, la résultante d’une série de choix méthodologiques qui retiendront et élimeneront l’information recueillie selon des critères particuliers. Bref, l’hypothèse de départ demeure essentielle dans la production des faits. L’hypothèse parapsychologique (HPP), à différencier de l’hypothèse paranormale (HPN) qui stipule l’existence d’entités non-humaines immatérielles derrière le phénomène, continue de demeurer l’hypothèse qui me semble la plus porteuse de produire des faits scientifiques. L’hypothèse extra-terrestre au 1er degré (HET) ne peut faire l’objet de faits scientiques tant et aussi longtemps que des objets physiques et biologiques soient étudiés par les humains. La HET au 2e degré (HET2) et la HPN, qui ne sont guère différentes, ne peuvent pas produire des faits scientifiques car les entités sont au-delà de notre atteinte (les entités joueraient un jeu de cache-cache avec les humains et où ces entités auraient la maîtrise total du jeu). L’hypothèse psycho-sociale (HPS) peut faire l’objet d’une production de faits scientifiques. Mais dans la mesure où elle nie l’existence du phénomène, elle se place sur un plan ontologique qu’elle ne peut supporter devant la persistence du phénomène. De plus, les rapports supposés entre archétypes sociaux et observations singulières de témoins particuliers ne peuvent pas être établis, que ce soit par le biais de la sociologie, psychologie ou neurologie. Seule la HPP a le potentiel de produire des faits scientifiques dans la mesure où l’étude du psi, phénomène humain accessible, peut générer des faits qui vont au-delà de l’observation au 1er degré.

Par exemple, lorsque Lucadou définit un endosystème comme une fonction de nouveauté et de confirmation, on peut étudier des phénomènes de poltergeist, des apparitions fantômesques, et des spirites en utilisant la même approche. On peut générer des faits et tenter de voir s’il y a des patterns (p.ex. les quatre phases du modèle de Lucadou). Le détail des observations au 1er degré (poltergeist seulement du bruit ou du mouvement; apparitions seulement du visuel; spirit seulement de l’auditif et/ou télépathique, etc.) deviennent d’un intérêt moindre car il ne s’agit que d’épiphénomènes qui ne nous permettent pas de comprendre la dynamique interne. C’est une observation que plus d’un amateur de paranormal dénonceraient, mais puisqu’ils ne produisent pas de faits scientifiques, je ne vois pas pourquoi on devrait s’attarder à leurs attaques. Isabelle Stenger et George Hansen, parmi d’autres, n’hésitent pas à dire qu’il n’y a pas de valeur à engager le débat avec les sceptiques car c’est peine perdue. Je dirais qu’il en va de même avec engager le débat avec les croyants du paranormal, c’est aussi peine perdue.

Bref, une approche HPP en ufologie n’aura pour communauté épistémique que les quelques parapsychologues ouverts à l’idée que les OVNI pourraient être un phénomène psi (plus nombreux en Europe qu’en Amérique du Nord) et quelques rares chercheurs individuels venant de d’autres disciplines.

Cela ne veut pas dire, en revanche, que ce qu’a produit l’ufologie est sans valeur dans son ensemble. Par exemple, le système de classification de Hynek est utile, même s’il ne touche qu’à l’épiphénomène. Les recherches psychiatriques de Mack sur les « enlevés » apportent un éclairage intéressant. Etc.

Une autre approche intéressante, est celle du Protocol Anamnesis en ufologie de l’Autrichien Keul, qui s’intéresse davantage aux témoins eux-même qu’aux détails de leurs observations. Cette approche me semble être un bon point de départ pour tenter repousser l’analyse vers l’endosystème du modèle de Lucadou. La portée de la signification d’un phénomène OVNI, du moins à première vue, semble liée aux témoins (personnes focales, et observateurs naïfs et critiques confondus). Ainsi, une vague d’OVNI, est une vague car elle est observée par plusieurs, plus d’une fois, et qu’elle est rapportée par des moyens de communications rapides, et finalement que les autorités prennent note de la chose. Bref, dans le cas des vagues d’OVNI la nature du « témoignage » (ou de l’information) est sociale et en ce sens sa signification est sociale (même si cela n’empêche pas que le phénomène ait, en même temps, une dimension individuelle, p.ex. l’expérience des pilotes militaires qui leur font la chasse, et des opérateurs radars). Si la signification est l’élément clé, dans un cadre jungien, alors les vagues d’OVNI devraient être considérées comme l’expression d’un psi social.

D’autres expériences individuelles, comme le cas célèbre de Betty et Barney Hill, ont eu une signification sociale aussi dans la mesure où le cas « a fait école ». En ce sens, je rejoins Favre lorsqu’il considère la parapsychologie comme science humaine où c’est après coup que l’on peut proposer une explication sociale des évènements. Mais il y a des détails dans le cas qui sont très porteurs de significations sociales que les ufologues n’ont su apprécier la portée. Mais ces détails n’ont de sens que dans la mesure où on fait l’effort de connaître l’histoire personnelle des témoins. Le fait que le couple soit mixte, Betty est blanche et Barney est noir, dans l’Amérique raciste du début des années 1960 n’est pas anodin. Les ET « Gris » (un mélange de noir et blanc) s’intéressent à leur capacité reproductive, encore une fois dans une Amérique terrorisée à l’idée du « mélange des races ». Betty était travailleuse sociale impliquée dans la lutte des Noirs pour leurs droits civils. Finalement, l’incident s’est produit alors qu’ils revenaient de Montréal, que les Hill fréquentaient justement parce que la nature inhabituelle de leur couple soulevait beaucoup moins de réprobation dans cette ville plutôt tolérante du Canada. Il est aussi intéressant de noter qu’en septembre 1961, date de l’incident des Hill, les États-Unis étaient en pleine crise du mur de Berlin avec l’Union soviétique. Un incident ufologique socialement important dans la mesure où il s’agit l’entrée en scène des « Gris », qui encore une fois se produit alors que la sécurité nationale est en danger. Le psi des sujets et le psi social semblent se rejoindre ici d’une manière inopinée et multiple.

2 commentaires:

N.E. a dit…

Bonjour,

ton approche se peaufine d'une belle manière. Difficile alors de trouver des interlocuteurs ouverts à une démarche productrice de faits scientifiques sont préjugés ontologiques. Mais il faut rester accessible.

La production de faits scientifiques dans le domaine des OVNI, suivant une HPP, serait la provocation d'OVNIs : soit comme des ectoplasmes, soit en préparant des observations d'OVNIS (à la manière du fantôme Philip) et en voyant si ces préparations seront corrélées par un témoignage réel.

C'était la démarche de Pierre Viéroudy :
Depuis 1974, j'ai tenté, avec quelques autres chercheurs, de provoquer des apparitions de type ovni. Nous nous mettions en auto-hypnose avec des motivations adéquates, dans ce "sommeil" particulier dont vous parliez, bref en situation psi. Des apparitions ont eu lieu, mais qui n'avaient pas les formes ovni classiques. Elles étaient mimétiques, en ce sens qu'elles imitaient des réalités naturelles, une apparence d'étoile ou une apparence d'avion ; mais elles ne pouvaient être ni l'une ni l'autre, de par leurs comportements (apparitions-disparitions sur place, marche arrière, chutes brutales, etc.). D'où des difficultés d'interprétation. Ce n'est qu'ultérieurement que nous avons compris que les apparitions ovni spontanées avaient une signification beaucoup plus profonde que celles produites, "incubées" expérimentalement. C'est d'ailleurs le cas habituel quand on compare le psi spontané et le psi expérimental (où le conflit est essentiellement scientifique). Les matérialisations que j'ai observées, mimétiques de notre environnement nocturne, me semblent donc liées au contexte affectif de la situation. Et ceci renvoie à la question générale, dont nous débattions, de l'origine et de l'interprétation des symboles. (http://gerp.free.fr/PA15_VieroudyOVNIS.htm)

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Merci pour l’encouragement.

Je devrai éclaicir ce que j’entends par « faits scientifiques ». Je le prends au sens de la sociologie du savoir scientifique (Bruno Latour, Michel Callon, Pierre Lagrange, et bien d’autres). Il s’agit de construits qui vont au-delà de l’observation au 1er degré. Par exemple, une voiture est bleue au 1er degré d’observation, mais pour le chimiste c’est une série de pourcentages des différentes composantes qui font le blue en question. C’est la différence entre des faits et des faits scientifiques. L’étude du paranormal, au sens de la sociologie, sera scientifique lorsqu’elle produira des faits scientifiques dans le sens ci-haut indiqué. Car ce que l’on recherche c’est ce qui se cache derrière le phénomène à fin de l’expliquer. De plus, je prends ici une position épistémologique semblable à celle de Favres, à savoir que la parapsy est une science humaine, et que les épistémologies à saveur positiviste ne sont pas les plus appropriées. La nature ontologique du psi, basé sur ce que l’on est connait, n’est pas réductible à des propositions où peut maîtriser le phénomène comme on peut le faire dans les sciences naturelles. Finalement, la recherche du sens, une question longuement débattue en sciences sociales depuis le début du 20e siècle, démontre que les approches prédictives ne fonctionnent pas.