dimanche 13 mai 2007

Mytho-logiques II : mythos et blasphèmes

Par Stéphan

America was targeted for attack because we're the brightest beacon for freedom and opportunity in the world.

They have attacked America because we are freedom's home and defender, and the commitment of our fathers is now the calling of our time.
George W Bush


La destruction des tours jumelles du WTC incarna la transition explosive d'une époque à une autre, d'un avant et d'un après. Mais encore fallait-il donner sens au chaos, extraire un nouvel ordre du désordre, promulguer le mythe.

La mise en scène ne se fit pas attendre. Le lendemain des attaques, le président Bush faisait part de son intention de mener une "lutte monumentale du bien contre le mal" ("a monumental struggle of Good versus Evil"). Le 13 septembre, il annonçait que le 14 serait jour national de prière et de souvenir des victimes des attentats. Et ce jour là, 48 heures après les attentats, il se rendit à la cathédrale nationale de Washington. Flanqué d'un cardinal, d'un rabbin, d'un imam et de Billy Graham, le père de la nation sermonna :

"Just three days removed from these events, Americans do not yet have the distance of history, but our responsibility to history is already clear: to answer these attacks and rid the world of evil.

War has been waged against us by stealth and deceit and murder.

This nation is peaceful, but fierce when stirred to anger. This conflict was begun on the timing and terms of others; it will end in a way and at an hour of our choosing.

[...]

In every generation, the world has produced enemies of human freedom. They have attacked America because we are freedom's home and defender, and the commitment of our fathers is now the calling of our time.

On this national day of prayer and remembrance, we ask almighty God to watch over our nation and grant us patience and resolve in all that is to come."

"our responsibility to history...", "In every generation...", "We are freedom's home and defender...", "the commitment of our fathers...", "the calling of our time", "We", "they"... Ou comment chercher à refaire la cohésion de la nation meurtrie autour du rappel de sa force tranquille, de la mémoire des ancêtres et de la filiation, du blason de la liberté dont elle est le porte-étendard, de l'appel du destin, de la bienveillance divine... et de la mise en scène renouvelée de la lutte du bien contre le mal, du clivage réitéré entre les forces de la liberté et les forces du mal, entre nous et les Autres. Récit mythique où le sens conféré aux attentats vise en fait le groupe, à lui rappeler qui il est, d'où il vient, pourquoi il fut attaqué, quelle est sa responsabilité et sa mission devant l'histoire... sous le regard approbateur de Dieu.

Les attentats ? Ils n'étaient déjà plus un crime à résoudre, si tant est qu'ils le furent jamais (le crime était 'résolu' le jour même où il fut perpétré) : ils devinrent rétroactivement l'événement fondateur d'une déclaration de guerre... lancée depuis une cathédrale. C'est depuis ce lieu inusité, mais habilement et diaboliquement bien choisi, que l'administration Bush consacra et sanctifia sa version des événements.

Si la destruction des tours jumelles du WTC fut le moment où se durcirent les cœurs et les esprits, où ils se préparèrent à accepter les choses à venir, c'est à l'occasion du discours prononcé par le père de la nation à la cathédrale nationale que l'événement prit tout son sens et que celui-ci se scella dans l'imaginaire collectif : clivage du temps en un avant et un après, au monde pré-911 succédait une ère post-911 sous le signe de la juste vengeance et de la guerre pour la liberté.

Des voix dissidentes ne manquèrent pas de s'inquiéter ou de questionner le bien fondé d'abord de l'invasion de l'Afghanistan (et plus tard, de l'Irak), des violations du droit international, des entorses à la constitution américaine et des restrictions des libertés civiles aux USA, ensuite des incarcérations sans accusation et de la torture des ennemis faits prisonniers. Mais à ces voix la réponse servie était et reste toujours la même : 9/11. Les temps avaient changé et il y avait péril en la demeure. Selon l'expression consacrée par Dick Cheney et Don Rusmfeld et rapidement popularisée par les médias, cette dissidence souffrait d'une "mentalité pré-911", d'un pre-911 mindset, dont il fallait se secouer.

En plus d'organiser la pensée, ce clivage du temps en un avant et un après nous amène à une modalité du mythe que le philosophe Cornelius Castoriadis disait première : fermer l'interrogation.

Si le mythe se prête à l'interprétation et à l'exégèse, jamais ne doit-il être mis en question et jamais la question de sa véracité ne doit-elle être soulevée (sous peine de quoi il perdrait son efficacité mythique, son effet mobilisateur, et apparaîtrait justement en tant que récit démythifié aux yeux du collectif démobilisé). Si d'aventure un malheureux se risque à en questionner la véracité, les gardiens de la foi ne daigneront pas en débattre avec lui. Ils l'ignoreront ou le dénonceront en tant que blasphémateur. Le mythe relève du sacré. Le questionner, c'est disputer sa position privilégiée, c'est commettre un sacrilège...

De fait, les voix téméraires qui osèrent mettre en doute la véracité ou l'intégrité du mythe nouvellement promulgué au sujet du 11 septembre furent tantôt ignorées tantôt ridiculisées, voire même l'objet d'attaques personnelles.

C'est que l'on ne badine pas avec le Sacré. Lors d'une allocution ultérieure à l'assemblée générale des Nations Unies, le président Bush n'hésita pas à honnir la parole blasphématoire et à rappeler l'ordre symbolique décrété par le mythe. Aucune ambiguïté ne pouvait être permise :

"We must speak the truth about terror. Let us never tolerate outrageous conspiracy theories concerning the attacks of September the 11th, malicious lies that attempt to shift the blame away from the terrorists themselves, away from the guilty."

Il convient d'indiquer que ces outrageuses "théories du complot" dénoncées en bloc par Bush n'étaient pas (et ne sont toujours pas) unes mais qu'elles reposaient sur des prémisses divergentes.

Deux des théories alors (et toujours) en vogue rejetaient bien la responsabilité immédiate des attentats sur Ben Laden et le réseau al Qaïda mais n'épargnaient pas l'administration US. Dans un premier cas, on faisait état des appuis financiers et politiques donnés par certains alliés internationaux de l'administration Bush aux auteurs des attentats. Dans le deuxième, on soutenait que la campagne afghane avait été planifiée bien avant le 11 septembre et que son véritable but était de veiller à la construction de l'oléoduc trans-afghan, un projet caressé depuis plusieurs années par la pétrolière Unocal et les administrations précédentes.

La troisième théorie était plus radicale et avançait rien de moins que la complicité passive/active de certains éléments de l'administration US : ou ces éléments furent au courant de l'imminence des attentats et les avaient laissés se produire, ou ils les avaient carrément orchestrés.

Si ces différentes explications alternatives se valurent alors l'étiquette négative de conspiracy theories, ce n'était certainement pas par manque d'éléments de preuve militant en leur faveur... Mais il suffit de leur accoler le label disqualifiant de "théories du complot" pour en dissuader l'examen et les rendre indignes d'une couverture de presse, maintenir l'interrogation sous scellé et épargner le mythe promulgué des risques du débat public. Du reste, l'état d'urgence déclarée par la "guerre contre la terreur" ne se voulait pas propice pas à l'opposition et à la critique.

Cet état d'esprit domine toujours l'espace public, notamment médiatique. Il faudrait un livre pour décrire et élucider la clôture de l'interrogation et l'entretien du mythe par les médias de masse (comme mentionné dans un billet antérieur, c'est d'ailleurs déjà fait : Towers of Deception: The Media Cover-Up of 9/11). Remarquons pour l'instant que le discours médiatique contribue toujours à faire du récit gouvernemental non pas seulement la plus plausible ou la plus vraisemblable des possibilités, mais la seule qui soit pensable et vertueuse.

Il n'en alla pas autrement pour la majorité des américains (et de canadiens) mais, nous l'avons vu, un nombre grandissant d'entre eux n'y adhèrent plus : ils le questionnent, en débattent, le critiquent, le défont et le dénoncent comme faux et mensonger... D'un point de vue anthropo-politique, il est intéressant de constater que le mythe soit aussi vivement promulgué, et les hérétiques fustigés, dans les institutions officielles, alors même qu'une part substantielle de la population s'en dessaisisse progressivement et le relise comme légende et récit mensonger.

Bien que l'on puisse analyser la version reçue en tant que mythe, sans jamais y soulever la question du vrai et faux et sans chercher à savoir s'il fut scénarisé à dessein tel un "nouveau Pearl Harbor" (selon l'expression de David Griffin) ou s'il fut une réponse spontanée à un événement non anticipé, il ne s'ensuit pas, en dernière analyse, que sa véracité n'importe pas. Nihilisme que d'éviter la question et de s'en croire épargné, qu'il s'agisse du nihilisme manipulateur des néo-conservateurs d'inspiration straussienne, ou du nihilisme caviar des postmodernes batifolant dans les jeux de langage. La vérité importe et nous n'échappons pas à son exigence (sinon au prix de contorsions et d'acrobaties intellectuelles ronflantes). Elle importe d'autant plus que le récit mythique recouvrant le 11 septembre a généré et impose depuis lors son propre régime de vérité, qu'il sert depuis ce temps de prétexte à des actions militaires internationales et à un resserrement des dispositifs de surveillance et de sécurité dans les espaces nationaux.

Pour cette raison, parce que la version officielle de 9/11 a servi et sert toujours de prétexte à deux (et peut-être bientôt trois) guerres, à des violations du droit international et des droits humains et à la mise en place de dispositifs de surveillance et d'insécurité ici et de par le monde, parce que le meurtre collectif de 3000 personnes le jour du 11 septembre n'a toujours pas fait l'objet d'une enquête judiciaire en bonne et due forme, il importe d'ouvrir l'interrogation et de se demander si cette version n'est pas aussi un mythe au sens commun du terme : un récit simplement faux.

S'il devait s'avérer tel, s'il devait s'avérer être un récit mensonger servant d'alibi masquant des fins inavouées, la signification à en tirer serait toute autre que celle qui informe et justifie nos actions collectives depuis le 11 septembre 2001.

Il pourrait toujours aussi s'avérer vrai, ou encore recéler des bribes essentielles de vérité. Mais, dans un cas comme dans l'autre, cette évaluation n'est possible que si ce récit est dérobé de son halo sacré, ramené au statut de simple théorie et soumis à l'épreuve de l'enquête et de la vérification.

Nombre de mythes ne résistent pas à l'examen et s'avèrent être des théories fausses. Je soutiens que le mythe, la version reçue de 9/11 est une telle théorie. Lorsque les défis à son endroit ne sont plus considérés blasphématoires, apparaît sous nos yeux un récit cousu de fil blanc, un assemblage fragile de faits inexacts, d'a priori erronés et d'idées fausses. En employant la notion de "mythe" cette fois de façon critique, j'aborderai un certain nombre de ces mythes composant le récit reçu de 9/11. Avant d'examiner les éléments de preuve qui accréditent la thèse de la complicité US aux attentats du 11 septembre, levons un à un les obstacles, les représentations et les idées reçues qui font écran à cet examen même.

Nous commencerons au prochain billet...

Aucun commentaire: