vendredi 9 février 2007

A l'ombre des majorités soupçonneuses

Par Stéphan

"Thirty-six percent adds up to a lot of people. This is not a fringe phenomenon. It is a mainstream political reality."
Lev Grossman, "Why the 9/11 Conspiracy Theories Won't Go Away", Time magazine, 3 septembre, 2006.



Recul d'un pas pour mieux rebondir. Je m'apprêtais à sortir l'artillerie lourde sur 9/11 quand je me suis mis à réfléchir à un commentaire d'Eric dans son tout premier billet :

"L'intérêt pour les grandes conspirations, et les mouvances sociales inspirées par le parapolitique, sont des forces déstructurantes pour l'ordre social. La vérité, le plausible, le secret, le complot, le mensonge, la désinformation s'y mêlent au point où il n'est plus possible d'avoir confiance aux institutions sociales. Le potentiel humain de ces mouvements déstructurants demeure un terrain d'enquête sociologique à explorer."
(Qu'est-ce que le dynatique?)

Eric touche ici à un point que je me dois d'expliciter avant de prendre plus en avant fait et cause.

J'affirmais dans un billet antérieur que la version officielle de 9/11 se veut indiscutable, à la manière d'un mythe. Oui mais il est toutefois aussi vrai qu'elle est de plus en plus disputée et récusée. De fait, l'adhésion populaire à son endroit faiblit et rapidement.

A défaut de se faire entendre, l'opinion publique américaine est périodiquement sondée au sujet de ses attitudes envers l'administration Bush. Dans une enquête par sondage réalisée en octobre 2006 par le New York Times et CBSNews, Americans Question Bush on 9/11 Intelligence (résultats complets en format PDF), la question suivante était posée :

"When it comes to what they knew prior to September 11th, 2001, about possible terrorist attacks against the United States, do you think members of the Bush Administration are telling the truth, are mostly telling the truth but hiding something, or are they mostly lying?"

Résultats : 53% des répondants dirent penser que l'administration cachait quelque chose, 28% qu'elle mentait... et 16% qu'elle disait la vérité.

Seulement 16% !

Dans un sondage antérieur du NYT et de CBSNews, en mai 2002 (soit avant la mise sur pied de la commission d'enquête Kean), la même question avait été posée. Comparaison des résultats :

.....................................Oct. 2006...........Mai 2002
Telling the truth................16%.....................21%
Hiding something..............53%....................65%
Mostly lying......................28%.....................8%
Not sure...............................3%.....................6%

Ce qui est surprenant, c'est l'augmentation des répondants pensant que l'administration ment, de 8% à 28%. Mais ce qui est significatif, c'est que 84% de la population (statistique) n'adhère plus à la version émanant de la maison blanche. C'est quand même extraordinaire... cinq ans après les attentats, la version officielle ne rallie plus qu'une minorité en voie d'insignifiance (16%) !

Or, ces résultats sont congruents avec une tendance qui s'accentue. A chaque nouveau sondage sur la question, les rangs des sceptiques vont croissant.

En août 2004 (soit moins de deux mois après le dépôt du rapport de la commission Kean), un sondage Zogby auprès des résidents de la ville et de l'État de New York révélait que 49% des premiers et 41% des deuxièmes croyaient que certains officiels de l'administration avaient eu connaissance d'attaques imminentes autour du 11 septembre et n'avaient sciemment rien fait pour les empêcher de se produire - 66% des premiers et 56% des deuxièmes se disaient aussi en faveur d'une nouvelle enquête chargée de répondre aux questions alors (et toujours) laissées en suspens.

En mai dernier, un autre sondage Zogby, cette fois ci auprès de la population américaine, révélait que c'était alors 52% de celle-ci qui n'adhérait plus à la version officielle. 42% des répondants disaient croire qu'il y avait eu dissimulation de la vérité et 10% n'en étaient pas certains - seuls 48% disaient croire que la lumière avait été faite sur les événements du 11 septembre. Par ailleurs, 45% étaient d'avis que le congrès ou un tribunal international devait relancer une nouvelle enquête (rappelons qu'Amir Khadir avait reçu une volée de bois vert au Québec pour avoir osé suggérer la même chose) et y examiner les allégations de complicité interne. 8% se disaient incertains et 47% se disaient en désaccord avec cette initiative.

[Fait à noter, seuls 52% des répondants se disaient au courant de la destruction du WTC7 (qui ne fut pas percuté par un avion et dont l'effondrement ne fut ni mentionné dans le rapport de la commission d'enquête Kean, ni expliqué par FEMA et que très peu discuté par les médias). La connaissance de ce fait peut être considérée comme un barème de mesure de l'exposition aux recherches indépendantes sur 9/11 puisqu'il est raisonnable d'inférer que ceux qui ignorent tout de l'effondrement du WTC7 n'ont jamais été exposés à celles-ci.]

Les questions ici posées portaient toutefois sur ce que savait présumément l'administration Bush avant les attentats, son inaction devant l'imminence des attaques et sa dissimulation subséquente des faits : elles ne préjugeaient pas des intentions de l'administration. Aucune enquête par sondage n'avait encore osé soulever la question de l'acte ou de l'intention criminelle.

En juillet 2006, soit trois mois avant l'enquête du NYT et de CBSNews, un sondage Scripps Howard/University of Ohio révélait que 36% des américains considéraient "very likely" ou "somewhat likely" que des officiels du gouvernement avaient ou laissé les attentats se produire ou les avaient eux-mêmes orchestrés parce qu'ils se cherchaient un prétexte pour partir en guerre au Moyen-Orient ("people in the federal government either assisted in the 9/11 attacks or took no action to stop the attacks because they wanted the United States to go to war in the Middle East.").

36%, c'est beaucoup de monde... Comme le dit la citation en exergue, ce n'est plus un phénomène marginal mais une nouvelle réalité politique (quoique statistique).

Ce qui est intéressant d'un point de vue sociopolitique, c'est que 36% des répondants adhèrent à une interprétation aussi radicalement opposée au récit reçu de 9/11. Elle tranche complètement avec le discours véhiculé par les milieux institutionnels, c'est-à-dire les autorités gouvernementales, le monde corporatif et les médias de masse (lesquels servent, à toute fin pratique, de courroie de transmission aux deux premiers). Ce n'est pas seulement là un simple écart d'opinion mais une rupture nette qui s'opère au sein du corps politique américain. Si ce résultat, comme ceux obtenus par Zogby, le NYT et CBSNews, est valide, il signale qu'il y a crise de confiance publique envers l'administration américaine.

Ce qui ajoute à la crise, c'est qu'elle ne fait pas l'objet d'une politisation dans l'espace public traditionnel : les partis et les familles politiques (je pense notamment aux démocrates) ne s'en saisissent pas, les instances politiques (Congrès et Sénat) n'en font pas un objet de débat. Elle est au contraire singulièrement absente du discours public, évacuée des lieux de délibération, ignorée des leaders politiques et en déficit de couverture médiatique... exception faite de quelques tentatives de debunking (Time Magazine, Popular Mechanics, Scientific American et le très mal nommé Skeptical Inquirer).

[Je me dois d'ajouter que quelques membres du congrès et du sénat, démocrates et républicains, ont publiquement questionné et émis des doutes à l'endroit de la version officielle. Mais ceux et celles qui se sont faits trop insistants (je pense notamment à Cynthia McKinney, représentante démocrate au congrès) furent marginalisés par leurs pairs et progressivement poussés vers la voie de sortie. Lors des primaires de novembre 2006, une trentaine de candidats tous partis confondus prirent publiquement fait et cause pour une réouverture de l'enquête sur les événements du 11 septembre. Je n'ai pas vérifié mais je pense qu'aucun ne fut élu].

Pour l'essentiel, la réponse institutionnelle s'est limitée à la mise sur pied d'un site web par le département d'État américain, The Top September 11 Conspiracy Theories... ou elle s'est exprimée de façon ciblée et infra : intimidation, censure, suspensions, menaces de congédiement et congédiements effectif, notamment dans le monde militaire, le milieu du renseignement et l'institution universitaire (il me faudrait plusieurs billets pour détailler ces mesures répressives et en énumérer les victimes).

Intuition instruite de ma part, cette crise de confiance publique autour des "faits" de 9/11, de leur production et de leur élucidation est faite pour durer. Et pour se dégrader.

A qui revient-il de l'affronter et de la résoudre ?

Derechef aux principaux intéressés, aux américains mêmes, notamment en exigeant et établissant une véritable commission d'enquête indépendante qui n'hésitera pas, cette fois, à examiner et mettre à l'épreuve les nombreuses pièces à conviction incriminant l'administration américaine. Mais parce que les impacts des événements du 11 septembre se sont faits et se font toujours vivement ressentir au-delà de leurs seules frontières, nul ailleurs n'est et ne peut rester spectateur à cette crise. Notamment nous, canadiens (ne serait-ce que, comme le disait récemment le ministre de la défense nationale, le subtil Gordon O'Connor, parce que nous ne pouvons laisser le meurtre de 25 de nos concitoyens impuni, sans lancer de représailles contre les responsables...)

Outre la société civile, le monde de la recherche universitaire ne peut davantage ignorer cette crise et ses fondements. Il est d'ailleurs bien placé pour l'étudier et participer à son élucidation.

Des efforts en ce sens sont d'ailleurs activement poursuivis par un nombre petit mais croissant de scientifiques et d'universitaires. En font foi les regroupements Scholars for 9/11 Truth et Scholars for 9/11 Truth and Justice. Ces derniers publient d'ailleurs le Journal of 9/11 Studies, un périodique électronique avec comité de lecture entièrement dédié à la recherche scientifique sur 9/11.

Tout louables que ce sont ces initiatives, elles sont cependant limitées sur deux points : elles ont lieu en marge des activités universitaires proprement dites - elles n'y sont pas intégrées - et elles portent presque exclusivement sur la "physique de 9/11", plus précisément sur la science des matériaux et les causes de l'effondrement des tours du WTC. Une rare exception fut la publication, à l'été 2006, d'un numéro entièrement consacré à 9/11 par le périodique Research in Political Economy : The Hidden History of 9-11-2001: a review. Hélas et étrangement, il ne semble pas avoir fait l'objet de recension parmi les autres périodiques universitaires.

Si les sciences "dures" peuvent et doivent mettre leur savoir à contribution au travail d'élucidation ici requis, elles ne sont pas les seules appelées : les sciences "molles" sont et devraient tout autant se sentir interpellées. Aussi essentielles, sinon plus, sont les études et les connaissances de la géopolitique, du terrorisme, des opérations clandestines, de la production, diffusion et réception de l'information, de la propagande et de la désinformation, de l'exercice du pouvoir, des conflits et des mouvements sociaux, des controverses sociotechniques, de la récurrence et de la mise en scène du mythe, de la parole religieuse, des régimes de vérité et des conditions d'énonciation du vrai, etc.

Il importe notamment que les théoriciens et praticiens de la "pensée critique" lisent et examinent sérieusement le satané rapport de la commission Kean sur les attentats de 9/11, tout en prenant connaissance des critiques documentées qui l'ont sérieusement mis à plat. Et ce, afin de déterminer s'il s'agit d'un compte-rendu valide des événements investigués ou s'il se mérite de figurer au rayon des œuvres de fiction.

En d'autres mots, sociologues, politologues, historiens, économistes, psychologues, philosophes, médiologues et littéraires doivent eux aussi se joindre à l'assemblée et participer à l'examen du bien fondé de cette crise de confiance publique.

Je donne l'exemple à mon prochain billet.

2 commentaires:

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Par Éric

Votre dernier billet étant un peu moins factuel, m'ouvre la porte à des discussions, car pour discuter les faits il faut bien les connaître, ce qui n'est pas mon cas.

Je me demande si la "découverte" offcielle d'une conspiration pourrait être un retour à la restrucutration (sur des bases nouvelles mais pas nécessairement bénéfiques). Je pense ici à la crise du Watergate qui mena à une acceptation officielle de la thèse du complot qui amena à son tour un renouvellement de l'idée et de la pratique de la fonction de président des É-U.

Alors que l'assassinat de JFK demeure irrésolu et en ce sens continu d'agir sur les perceptions des agences de renseignement, est en fait déstructurant. Ce caractère déstructurant peut être vu comme négatif, mais il peut aussi être vu comme positif dans la mesure où le manque de confiance dans l'honnêteté de la CIA (et autres) permet d'éviter qu'elle devienne l'état dans l'état. Thèse un peu perverse, et probablement fonctionnaliste, mais la controverse qui entoure 9/11 est très bénéfique pour la démocratie.