samedi 10 février 2007

Application du MPI aux vagues OVNI – une ébauche

Par Eric

Quelques commentaires sur l’article de W. Lucadou « Le Modèle de l’Information Pragmatique et les prédictions de RSPK » (2004)

1. Il me semble assez clair que Lucadou admet, au moins implicitement, que le psi spontané est plus intense que le psi de laboratoire lorsqu’il écrit: « Pourtant, dans un cas de RS PK, nul ne peut dire grand chose sur sa construction, si ce n’est que tous les cas de RSPK ont leur propre histoire et leur propre développement temporel, d’où on peut supposer que la dimensionnalité sera plus importante comparativement à des expériences contrôlées de PK». Cela me semble assez évident, et que par extension, on peut décrire les observations OVNI de la même manière.

2. Une citation dans le texte de Lucadou qui me semble s’appliquer tout aussi au phénomène OVNI : « Si un événement est rare, il est par définition difficile à observer, pour la simple raison qu’on ne peut pas se préparer à le faire, une caractéristique assez prononcée dans les cas de poltergeist. Hans Bender, le père de la recherche allemande sur les poltergeists, a écrit : « Les efforts pour photographier ou filmer un phénomène de poltergeist en action, ou pour enregistrer des bruits sur des cassettes audio, sont gênés par un problème : ces phénomènes semblent se dérober à l’observation critique. L’on peut difficilement fuir l’impression que ces forces intelligentes évitent l’observateur, en produisant une matérialisation exactement à l’endroit qui ne peut pas être enregistré ou photographié. » (Bender, 1952, p.169) »

3. Je ne suis pas certain cependant que le phénomène OVNI ait la temporalité des poltergeists étudiés par Lucadou. Ce dernier indique : « Les événements montrent également des patterns temporels spécifiques. Généralement, leur mise en route est complètement inattendue et ils se développent dramatiquement. Aussi longtemps que ceux qui sont impliqués croient que les phénomènes ont des causes externes, une farce, un court-circuit, un tuyau qui fuit... les phénomènes deviennent plus forts, et croissent dans une véritable démonstration. Les personnes impliquées ne se sentent plus en sécurité et tentent de trouver une assistance extérieure, par exemple celle de la police, des pompiers, ou celle d’institutions qui proposent une assistance technique ». Les observations OVNI commencent de manière inattendue, mais leur développement n’est pas aussi dramatique, sauf si il y a ce que l’on appelle une rencontre du 3e type. Il y a souvent effet de peur, mais pas toujours. Il peut aussi y avoir fascination et incrédulité. Les observations peuvent varier de queques secondes à presqu’une heure, et même plus. Ainsi, le phénomène OVNI est plus complexe que celui des poltergeists et toute application du modèle aux OVNI devra en tenir compte.

4. Il y a certainement une phase de « surprise » dans le phénomène OVNI, mais la phase suivante est l’incrédulité, puis la crédulité et finalement le départ de l’objet. Dans la mesure où on reste au niveau des observateurs directs.

Mais si on place l’analyse au niveau sociologique, et en particulier s’il s’agit d’une vague OVNI, et donc comme les poltergeists possède au moins un degré minimum de récurrence, alors les phases sociales ressemblent aux phases décrites par Lucadou. Mais la récurrence n’est pas toujours nécessaire. Si on prend pour exemple l’observation récente de novembre 2006 à l’aéroport O’Hare de Chicago, il y a eu une phase de surprise chez les employés qui ont observé l’objet. Puis il y a eu une « phase de déplacement », mais par les autorités du transport aérien (FAA) qui comme dans les cas de poltergeist « [d]urant cette phase, l’interprétation du phénomène ira des sources extérieures aux sources internes. Le même déplacement prendra place dans les phénomènes eux-mêmes ». Il important de noter que le rapport entre les autorités FAA et les témoins fut plutôt indirect, par rapports interposés. Ici, il est difficile de dire si le phénomène se transforme en anomalie atmosphérique comme la FAA interprète les observations. Il y a ici une piste de recherche intéressante à savoir que le phénomène se « débunk » lui-même par la suite, en réaction aux attitudes sociales. Car il a fallu plus d’un mois après l’observation pour que cette histoire devienne publique.

Cependant, la vague de Washington de 1952 répond à cette temporalité, dans la mesure où lorsque les autorités décidèrent de se pencher sur le phénomène (et encore une fois pas les premiers témoins), la vague OVNI s’intensifie et « crée » d’autres témoins qui dans n’ont rien à voir avec les autorités, ou du moins qui ne sont pas les personnes qui décident. Il y a ici aussi un lien par rapports bureaucratiques interposés. Et un peu comme dans les cas de poltergeist avec les « journalistes affamés de sensationnel, les « parapsychologues auto-proclamés » et les « exorcistes » viennent tourmenter les personnes impliquées » la prise en chasse d’OVNI par l’aviation militaire ne fait qu’augmenter le nombre des témoins (plutôt que tourmenter davantage les personnes impliquées). En ce sens, « les personnes impliquées » semblent être la société dans son ensemble (ou peut-être les autorités?), plutôt que des individus particuliers témoins des évènements.

Lorsque « La « phase de déclin » a commencé. Beaucoup de ceux qui attendaient des effets sensationnels sont déçus et partent », et on peut dire la même chose des journalistes qui sur le tard finissent par s’intéresser à la vague OVNI, de même que les politiciens et les hauts gradés militaires. Dans les deux derniers cas, cependant, je crois que le terme « soulagés » est probablement plus approprié car ils n’auront pas à répondre à des questions sans réponse, et ainsi peuvent se reconcentrer sur leurs priorités politiques et administratives.

Finalement, : « la « phase de suppression ». La fraude est plus ou moins ouvertement discutée, les personnes et les témoins impliqués sont souvent ridiculisés et discriminés dans les médias de masse, les témoins peuvent même renier (en partie) leurs premières déclarations, et on publie des articles qui désamorcent l’histoire. » Pattern habituel des observations OVNI, il y a vraiment rien à rajouter ici.

5. Lucadou, qui cite Bender dit que les phénomènes de poltergeist sont des appels à l’aide de l’inconscient. Que dire du phénomène OVNI? S’il se comprend mieux dans une perspective sociologique, du moins pour les vagues d’OVNI, alors on peut supposer un appel à l’aide de l’inconscient collectif vers les parents (c.-à-d. les autorités réelle ou virtuelle)? Ici, il faut noter que la notion de parent déplacée vers les autorités représente simplement une appréciation du contexte social d’une époque et d’une culture. Ainsi, on pourrait émettre une hypothèse intéressante à savoir que dans les sociétés pré-agaraires (donc sans centralisation du pouvoir) le phénomène OVNI devrait être absent.

6. Lucadou insiste pour dire que dans les cas de poltergeist, lors de la phase de déplacement l’attention de l’entourage tend à se concentrer sur la personne centrale, considérée comme ayant des pouvoirs spéciaux. Dans le cas de vague d’OVNI, on ne voit pas souvent de personne centrale (sauf peut-être dans les évènements de Gulf Breeze durant l’hiver 1987 qui impliquent un individu en particulier, Edward Walters). Mais si on pense à la vague de 1952 au-dessus de Washington, il y a beaucoup de monde impliqué. Des opérateurs radars, qui ne sont pas nécessairement au travail pour chaque observation, de nombreux pilotes de ligne qui ne font qu’une seule observation chacun, d’autres témoins occulaires, et les pilotes de chasse qui ne font aucune observation occulaire mais font des observation radar. Les récits mettent l’accent sur les opérateurs radar qui n’auraient pas su interpréter des inversions thermales sur leurs écrans. S’il s’agit des personnes centrales au sens du modèle de Locadou, alors est-ce que ces dernières étaient considérées comme spéciales? Non. En revanche, on peut émettre l’hypothèse que les opérateurs radar ont attiré beaucoup d’attention potentiellement négative envers eux-même et qu’ils se devaient de prouver leur compétence et leur honnêteté profesionnelle. En ce sens, ils devaient « prier » inconsciemment pour que le phénomène se reproduise afin d’être exonéré. Par la négative, cela réplique le modèle de Lucadou où les personnes centrales se sentent obligées de performer vu leur statut "spécial". Mais il semble difficile d’attribuer aux opérateurs radar l’origine du phénomène lors de la phase précédente de surprise. Ainsi, l'utilisation du modèle de Lucadou doit aussi accommoder des changements de niveaux ontologiques substantiels où la société est aussi partie prennante et interne du système auto-organisateur, sans être l'observatrice directe des évènements.

7. Lucadou avance que « Selon le Modèle de l’Information Pragmatique, les composants de l’information pragmatique dans les cas de poltergeist sont alternativement déterminés par deux buts. Le premier est la finalité interne du système organisationnellement clos, qui est de produire un effet sur la société. Le second est la finalité externe de la société, qui est de préparer le système organisationnellement clos. La finalité interne affecte la combinaison de la nouveauté et de la confirmation, alors que la préparation du système par l’extérieur a un effet sur l’autonomie et la fiabilité du système. » Est-ce que les OVNI ont pour finalité interne de produire un effet sur la société (l’appel à l’aide, je présume)? Difficile à dire dans l’exemple de la vague de Washington. Est-ce que la possibilité d’une guerre nucléaire avec le bloc communiste dans le cadre de la guerre de Corée était une préoccupation forte chez les militaires, bureaucrates, et politiciens de Washington, et qu’elle aurait crée des appel à l’aide inconscient? Peut-être, mais il serait difficile de faire une telle démonstration empirique. Une piste serait de regarder les demandes prières faites par les pasteurs Protestants dans la région de Washington, en particulier les églises des classes moyennes et supérieures, en sachant que la société américaine de l’époque était activement religieuse.

Il est clair que la finalité externe de la société de nier le phénomène (pour le rendre organisationnellement clos) peut être démontrée empiriquement par les déclarations officielles. La chaleur durant l’été 1952 permettait de limiter la fiabilité du phénomène et d’invoquer les inversions thermales. Les évènements de 1947 rendent les autorités militaires à la fois plus intéressées au phénomène et plus désireuses de le faire disparaître, affectant ainsi son autonomie.

8. Si l’inconscient collectif des militaires, bureaucrates, et politiciens de Washington est responsable du phénomène, alors il me semble que le phénomène OVNI est de la variété passive. « Dans le cas passif, c’est l’inverse : la personne focale ne contrôle rien et n’arrive pas non plus à stabiliser son monde. En contraste, la personne focale active va aller jusqu’à sur-contrôler son environnement, ce qui mène à des fluctuations aléatoires macroscopiques, c’est-à-dire le phénomène de RS PK ». Ainsi, il y avait-il un sentiment de perte de contrôle dans le cadre de la Guerre froide à Washington? Il faut souligner que la période de 1950 à 1953 est aussi celle du mccartyism, où la bureaucratie washingtonienne était véritablement terrorisée. L’appel à l’aide inconscient face au «père » intransigent me semble cadrer mieux avec une période collectivement dépressive. Poutant, il y a eu une intensification des observations et donc la phase de déplacement aurait eu lieu (c.-à-d. de points radars à des observations directes, à l’envoi de chasseurs).

9. Dans le cas de poltergeist passif, Lucadou avance que: « Dans ce cas, on s’attend à ce que cela arrive seulement à une certaine période, juste avant que l’ensemble du système ne s’éteigne ». En 1952, les Démocrates avaient décidé de faire de McCarthy leur cible principale. Il est intéressant de noter que le 26 juillet 1952, dernière journée de la vague, les Démocrates tiennent leur convention à Chicago et nomme Adlai Stevenson comme leur candidat à l’élection présidentielle de 1952 (en novembre), qui la même année critiquera publiquement McCarthy, ce que peu ont osé faire jusque là. De même, le 4 juillet 1952, Eisenhower est nommé candidat présidentiel pour les Républicains, et sera celui qui finalement remettera à l’ordre McCarthy à partir de 1953. En ce sens, juillet 1952 peut être considéré comme le début de la fin du mccartyism, car l'horizon politique change radicalement à Washington (peu importe si les Démocrates ou les Républicains gagnent l'élection de 1952, McCarthy est cuit).

On peut donc voir des similitudes importantes entre les cas de poltergeists et le phénomène OVNI, mais il me semble clair que l'analyse des cas OVNI doit passer au niveau sociologique, alors que l'analyse psycho-sociologique (petit groupe) est davantage appropriée pour les poltergeists.

1 commentaire:

N.E. a dit…

Article très intéressant ; le modèle développé par Lucadou commence dès 1974 et s'applique aux RSPK depuis 1982. 25 ans qu'on attendait que d'autres s'en saisissent !

Il y a beaucoup de concepts qui souffrent de l'analogisme. La "fermeture organisationnelle" (point 7) provient de Varela : c'est dire qu'un système est fermé par les interactions entre ses éléments (comme l'atome forme une unité grâce à l'interaction de ses éléments noyau + électrons). Ca n'a donc pas de sens de dire : "la finalité externe de la société de nier le phénomène (pour le rendre organisationnellement clos)". La finalité externe, telle que stipulée par Lucadou, veut préparer le système (au sens quantique) pour mieux le "contrôler". Mais le déni n'a pas d'effet direct sur l'auto-organisation du système.

Je suis d'accord avec la plupart des points, et surtout sur le fait qu'un développement temporel de RSPK semble très différent de celui d'une OVNI. Mais cela vient peut-être du fait que nous n'avons pas repéré tous les acteurs. Tu cites beaucoup d'observations collectives d'OVNIs où il n'y aurait pas de sujet focal. Je suis loin de croire que c'est la règle vu le nombre d'observations qu'on peut recevoir provenant d'individu isolé ou de petit groupe. Sans parler des "enlèvements" qui rejoue dans leur dynamique (plus étalée) la problématique de la RSPK. Je crois que tu as bien repéré les autres acteurs, mais que l'entité "Société" reste à préciser : dans les cas de Poltergeist, ce sont des gens qui, sans jamais avoir été sur le terrain (pas d'observation, ni naïve, ni critique) prennent une décision sur la réalité du phénomène. Et ils sont nombreux ! Mais ce n'est pas toute la société qui prend des décisions, seulement ceux qui auront eu vent du cas. On ne parle donc pas d'une entité globale et vaguement élargie.

Le point 2 doit se compléter de la formule émise par Lucadou : il existe une relation d'incertitude entre la taille d'effet (intensité) d'un phénomène et la qualité de sa documentation. Il faut essayer de s'en tenir à ce vocabulaire qui est relié à tout un panel théorique systémique qui n'apparaît pas dans les articles traduits en français. (Lucadou est directeur d'une revue de systémique cognitive).

Point 8. Lucadou cite Bender et son "appel au secours inconscient", mais à d'autres endroits il emet des réserves sur cette hypothèse pro-psychanalytique. Il a rencontré des cas de RSPK où le conflit psychologique était certes inconscient, mais plutôt trivial. Bender tentaît de faire du poltergeist "une voie royale vers l'inconscient".
Je ne sais pas s'il est légitime de parler d'appel au secours de l'inconscient collectif. Cela brise la construction systémique.

Je dois abréger mon commentaire
A plus
Raoul