vendredi 16 février 2007

Socio-logique des truthers

Par Stéphan



"I guess the real story about 9/11 is about what the people are actually saying". Paul Craig Roberts, Las Vegas Tribune's, 29 juillet 2005.


Dans mon billet précédent, je plaidais pour la participation du monde de la recherche universitaire à l'examen du bien fondé de la crise de confiance publique qui s'agite en sourdine autour de 9/11. J'insistais notamment sur la nécessité de la participation des praticiens des sciences sociales.

D'une crise infra-politique et d'une controverse au sens plein il s'agit ici. Et les voies d'entrée socio-logiques y sont nombreuses. Laquelle choisir ?

Le mouvement 911Truth se veut un bon point de départ. Les sociologues férus de nouveaux mouvements sociaux, de nouvelles pratiques de faire-savoir et de résistance, de construction et de déconstruction du mythe, etc., y reconnaîtront un objet d'étude familier. Il est justement le type d'acteur social qui devrait les intéresser : activisme citoyen, sentiment d'identité et de solidarité, pratiques discursives et politiques originales, lieux et modes spécifiques de diffusion de l'information, prescription de codes de conduite, réseau organisationnel informel et décentralisé, débats, auto-réflexion, remises en question, dissensions... Bref, le social en action.

Quelques remarques fragmentaires sur la base de mes observations (participantes) jusqu'à ce jour :

Le mouvement 911Truth désigne un ensemble d'individus, de chercheurs et de groupes qui remettent en question la version officielle du 11 septembre. Ils en questionnent la véracité et l'exhaustivité, ils y relèvent les contradictions, les omissions et les mensonges apparents, ils soulèvent de nouvelles questions et ils exigent réponses, transparence et imputabilité de la part de leur gouvernement.

Nombre des sceptiques de la version officielle (mais non tous) en sont rapidement ou progressivement venus à la conclusion que des éléments de l'administration américaine se firent complices des attentats : soit en les laissant sciemment se produire, sans chercher à les empêcher ; soit en les orchestrant eux-mêmes, en tout ou en partie. Loin de clore l'interrogation et l'exigence de vérité, ces doigts accusateurs pointés vers le gouvernement ne font qu'en redoubler l'urgence et l'exigence.

[Ces soupçons de complicité interne existaient depuis le tout début chez certains mais ils ont aussi une histoire et ses points tournants : publication d'ouvrages clés, diffusion de documentaires, mises sur pied de portails... et les tribulations de la commission d'enquête sur les événements du 11 septembre, notamment de la conduite de ses travaux à la publication de son rapport, à l'été 2004. Le récit de cette histoire excédant le cadre de l'exposé sociologique de ce billet, je ne l'aborderais pas pour l'instant. 911Truth.org dresse un (très) petit résumé introductoire. L'article de Wikipedia sur le 9/11 Truth Movement est un peu plus détaillé mais tout aussi incomplet.]

La décentralisation du mouvement et l'autonomie de ses composantes rendent hasardeuse l'identification d'un énoncé politique directeur et d'objectifs bien définis ; les discussions et les mises au point occasionnelles parmi les truthers indiquent que le consensus à ce sujet reste toujours à faire ou à refaire. Néanmoins, la déclaration conjointe, le 26 octobre 2004, de 110 personnalités américaines de divers horizons et de 53 membres des familles des victimes pourrait être considérée comme un énoncé politique directeur du mouvement : Respected Leaders and Families Launch 9/11 Truth Statement Demanding Deeper Investigation into the Events of 9/11.

L'énoncé de mission de 911Truth.org, l'un des portails les plus influents du mouvement voire son fer de lance sur la toile, énumère quant à lui une série d'objectifs détaillés et de longue haleine. D'entre tous, l'objectif d'une éventuelle transformation politique - dont la forme reste floue - est peut-être plus équivoque ; il est certainement second vis-à-vis des exigences premières de vérité, d'imputabilité et de justice (à moins que, vu l'état présent des institutions démocratiques américaines, ces exigences ne présupposent pareille transformation. Qui sait). Nombre de truthers désirent avant tout que lumière et justice soient faites sur les événements du 11 septembre. Si d'aucun s'entendent sur la nécessité d'une profonde transformation politique pour que de tels événements ne se répètent plus, nul n'est dupe de la charge d'idéalisme qu'elle véhicule. Du reste, l'action ne porte pas encore là.

Ce mouvement n'est ni politiquement aligné ni idéologiquement unifié (sinon autour des exigences susmentionnées) - le mot d'ordre en son sein lors des primaires de novembre était d'appuyer les Candidates for 911 truth, qu'importe leur allégeance. On y trouve des démocrates, des républicains, des verts, des libertariens, des pacifistes, des conservateurs (à ne pas confondre avec les très mal nommés néo-conservateurs), etc. Des gens aussi différents que le vieil historien gauchiste Howard Zinn et le père des Reaganomics et ancien éditeur du Wall Street Journal, Paul Craig Roberts, s'y reconnaissent ou s'y côtoient. Manifestement, 911Truth ne se laisse pas dissoudre dans les catégories politiques d'usage. Je suis toutefois tenté d'y voir la poursuite d'une tradition démocratique et républicaine vieille de 230 ans.

Qui sont les truthers ? De simples citoyens et des internautes engagés pour la plupart mais aussi des survivants des attentats, des membres des familles des victimes, des universitaires, des artistes, des ingénieurs, des scientifiques, des militaires, des agents de renseignement, des politiciens et même d'anciens collaborateurs de la première administration Bush.

Le mouvement n'est pas organisé sur un mode hiérarchique mais il a ses leaders informels, ses héros, ses sages, ses vedettes, ses poètes, ses poster boys et poster girls, ses grandes gueules, ses martyrs, ses anges déchus et ses âmes damnées. La notoriété s'y acquiert par la publication d'ouvrages, la réalisation de documentaires, les allocutions, les déclarations publiques, bref, par les performances réalisées. Mais celles-ci seront jugées d'autant plus crédibles et significatives si leurs auteurs montrent des compétences professionnelles correspondantes. C'est le cas notamment lorsqu'un scientifique, un universitaire, un officier militaire ou un agent de renseignement (généralement retraité) sort de l'ombre et professe son appui envers 911Truth, ou critique publiquement la version officielle promue par la maison blanche. Ces coming out ont un effet tonique auprès de la majorité des truthers : ils y sont diffusés, célébrés, tenus pour preuve... mais non sans indisposer certains autres, plus soucieux des motivations que des qualifications de ces supporteurs inattendus.

Une socio-logique de la notoriété serait nécessaire ici. Il est manifeste que cette importance accordée aux titres et aux qualifications - des têtes d'affiche, des supporteurs et des informateurs - ne ressort pas toujours d'un simple souci de professionnalisme et s'apparente plutôt à la thésaurisation d'un capital professionnel et statutaire. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse là d'un recours à l'(argument d')autorité ni même d'un simple désir de validation externe de ses positions.

J'y vois davantage l'accumulation d'une ressource stratégique dans une arène publique (jugée) irrémédiablement éristique, sophistique et hostile. C'est que d'une part, la déclinaison des titres et des compétences professionnelles sert à parer aux épithètes avilissantes et aux accusations, faciles mais assassines, de manque de patriotisme voire d'anti-américanisme lancées régulièrement aux truthers. D'autre part, elle sert aussi à convaincre autrui du sérieux intellectuel et du profond patriotisme qui anime le mouvement 911Truth.

Ainsi en est-il du portail patriotsquestion911, une compilation des prises de position et des déclarations publiques, toutes critiques de la commission Kean, de 80 analystes, issus des milieux militaire, policier, politique et du renseignement, et de 110 universitaires, aux titres et qualifications bien mis en évidence. Tous n'adhèrent pas nécessairement à la thèse de la complicité américaine mais tous s'entendent sur l'échec de la commission d'enquête et/ou la nécessité d'une nouvelle enquête. Dans les mots du webmestre :

"Senior Military, Intelligence, Law Enforcement, and Government Critics of 9/11 Commission Report

Many well known and respected senior U.S. military officers, intelligence services and law enforcement veterans, and government officials have expressed significant criticism of the 9/11 Commission Report. Several even allege government complicity in the terrible acts of 9/11. This website is a collection of their public statements. It should be made clear that none of these individuals are affiliated with this website.

Listed below are statements by 80 of these senior officials critical of or contradictory to the 9/11 Commission Report. Their collective voices give credibility to the claim that the 9/11 Commission Report is tragically flawed. These individuals cannot be simply dismissed as irresponsible believers in some 9/11 conspiracy theory. Their sincere concern, backed by their decades of service to their country, demonstrate that criticism of the Report is not irresponsible, illogical, nor disloyal, per se. In fact, it can be just the opposite.
"

L'intention affichée de cette compilation n'est pas de fermer l'interrogation (par argument d'autorité) mais de montrer que la critique du rapport de la commission Kean n'a rien d'irresponsable, d'illogique, de déloyale ou de farfelue. Les sommités, leurs titres et leurs déclarations sont des ressources mobilisées stratégiquement : leur déclinaison sert à bâtir un capital de crédibilité auprès d'une opposition hostile (voire à faire entendre une cause à laquelle les médias et l'ensemble du monde universitaire restent toujours sourds). L'enjeu n'est pas la justesse des positions affichées mais la légitimité de leur expression dans l'espace public : on ne peut discuter de leur justesse que si l'on accepte la légitimité de leur expression publique. Les titres, disons, d'un colonel retraité de l'USAF ou d'un physicien acquis à la cause ne confèrent pas la vérité infuse mais ils servent de gages, de monnaie d'échange pour qui veut se tailler une place bien en vue sur la scène du débat public.

Ceux qui épousent graduellement l'hypothèse ou la conviction que 9/11 fut une opération maison passent généralement par une période initiatique difficile. A l'instar des militaires qui se partagent des anecdotes sur les raisons qui les ont poussés à joindre l'armée, des immigrants au sujet de leur périple dans leur nouveau pays ou des convertis à une religion sur leur cheminement spirituel, les truthers s'échangent eux aussi des histoires sur les circonstances de leur prise de conscience, les changements occasionnés à leur vie et les réactions de leur entourage. A ces récits s'ajoutent les exemples souvent cités de chercheurs ou d'informateurs intimidés, harcelés ou congédiés mais aussi les exemples de ténacité, de résistance et de lutte victorieuse. Encore là, il ne s'agit pas d'une simple validation externe de ses positions ("s'il y a répression, c'est du sérieux") : les tribulations tantôt d'une traductrice du FBI congédiée et bâillonnée tantôt d'un professeur de religion islamique menacé de perdre son emploi à l'Université du Wisconsin servent aussi de modèles de courage dont il faut s'inspirer.

Malgré les inévitables désaccords et les occasionnelles âpres disputes entre truthers, l'identité de groupe y est forte. Elle l'est d'autant plus que la différence de vision entre soi et ceux qui adhèrent sans condition à la version officielle de 9/11 y est vivement ressentie et représentée, quoique non sans ambivalence. Certains truthers ne cessent de s'étonner et de s'exaspérer devant ce qui leur semble être de la naïveté, de la complaisance et de la stupidité collective - une expression qui revient régulièrement dans leur discours à l'endroit des adhérents à la version officielle est celle de "sheeple", un amalgame des mots sheep et people. D'autres sont plus sensibles aux difficultés cognitives et émotives, voire initiatiques, posées par le changement de perspective souhaité, et adoptent une attitude plus conciliante et empathique envers les sheeple.

A certains égards, le mouvement 911Truth partage des traits avec les groupes soudés par un sens commun du danger, tels les pompiers, les policiers et les militaires. C'est qu'un gouvernement qui sacrifie volontiers la vie de milliers de ses citoyens, dans le but de lancer une série de guerres impériales et de s'octroyer des pouvoirs sans précédent sur la scène nationale, n'hésiterait pas davantage à prendre les moyens nécessaires pour étouffer toute tentative de révélation de sa complicité. Convaincus de présenter une menace à la fois morale, juridique et politique envers les autorités criminellement responsables, les truthers redoutent et guettent toute manoeuvre clandestine visant à obstruer, discréditer ou diviser leur mouvement, notamment via la dissémination d'intox ou par l'usage de techniques d'intimidation.

L'expression d'un sentiment de danger direct ou personnel y est plus diffuse cependant. Les truthers craignent moins une éventuelle atteinte directe à leur vie - les auteurs publiés sont d'ailleurs saufs puisque "out in the open" mais ils ne sont cependant pas à l'abri des tentatives de salissage et d'atteinte à leur réputation, ce que rend bien l'expression "character assassination" - que de futures opérations false flag (des attaques menées sous le couvert du "drapeau" adverse) se produisent sur le territoire américain. Ils craignent notamment que celles-ci servent de prétexte pour incarcérer les "ennemis combattants" et autres "dissidents" du régime. La panoplie de lois et d'ordres d'exécutifs liberticides, voire humanicides, adoptés dans la foulée du 11 septembre, la résiliation de l'habeas corpus, l'abolition annoncée du Posse Comitatus Act et l'annonce de l'attribution d'un contrat de $385 millions à une filiale d'Halliburton pour construire des camps de détention aux USA, en sont souvent voulues pour signes avant-coureur.

Cette différence de vision, cette di-vision entre les truthers et les non-initiés est si radicale qu'elle mène souvent à des accusations mutuelles (quoique inégales) de folie ou d'irrationalité. Ceux (nombreux hélas) qui n'ont qu'une connaissance très superficielle des événements du 11 septembre - et qui méconnaissent complètement l'histoire des opérations false flag - juge la perspective défendue par les truthers au mieux bizarre et improbable, au pis absurde et démente ; l'insistance de ces derniers à la promouvoir leur apparaît tout autant obsessive et/ou symptôme d'une dangereuse pathologie (dans le cadre canadien et plus spécifiquement québécois, les éditorialistes et des chroniqueurs de 3e ordre font le diagnostique d'un anti-américanisme primaire).

Quant aux truthers, généralement plus informés des événements du 11 septembre (je dis plus et non nécessairement mieux. Plus informés ils le sont par intérêt de connaissance, lequel fait généralement défaut aux non-initiés, satisfaits qu'ils sont de la version officielle), ils pensent ces opérations false flag suffisamment fréquentes et bien documentées pour retourner le compliment à ceux qui rejettent a priori leur perspective. Symétriquement, les smoking guns de 9/11 leurs semblent si évidents et nombreux que ceux qui ne peuvent les reconnaître pour ce qu'ils sont doivent fatalement souffrir de déni, de dénégation, de dissociation, de dissolution morale ou pire encore. Au reproche de leur apparente obsession, les truthers répliquent que 9/11 fut un crime si monstrueux et à l'impact historique et géopolitique si immense qu'il est justifié de tout mettre de côté jusqu'à son élucidation.

Di-vision donc. Une expression tirée du film The Matrix sert de métaphore récurrente aux truthers pour représenter le défi qu'ils lancent à l'adversité et aux non-initiés : "Take the red pill", "avale la pilule rouge", y disait Morpheus à Neo, "Vois enfin la réalité telle qu'elle est, vois et comprends ce qu'est la matrice : une hallucination consensuelle et pré-fabriquée". Le mouvement 911Truth prétend justement être cette petite pilule rouge qui peut faire tomber le voile et dessiller les yeux des non-initiés.

Comment combattre cette matrice hallucinatoire, comment neutraliser cette simulation hyperréelle ? En faisant preuve de créativité... Une des initiatives les plus intéressantes d'un point de vue socio-anthropologique est la création et la distribution du Deception Dollar, une contrefaçon parodique du bout de papier le plus prisé au monde : le dollar américain.




Ne nous y trompons pas : cette parodie du billet de la réserve fédérale des É-U est un pamphlet politique des plus efficaces. Alors que les tracs politiques se ramassent d'ordinaire à la poubelle ou au bac à recyclage, le Deception Dollar fait office d'objet de collection. Ses détenteurs le gardent, le rangent et le montrent à leurs amis. Il en est à sa 9e édition ; à ce jour, 6 millions de ces billets sont en circulation.

Dans le monde hyperréel ou matriciel qui est le notre selon les truthers, ce billet contrefait a des propriétés que l'on pourrait qualifier de magiques. Le Deception Dollar se distribue sans difficultés auprès des flâneurs postmodernes, en invitant ou la surprise ou la gratitude ou la cupidité... jusqu'à ce que, en y regardant de plus près, l'heureux détenteur remarque que quelque chose cloche avec le billet. C'est alors qu'il décoche un sourire amusé ou éclate de rire. Réaction des plus surprenantes - magique justement - puisque le discours de 911Truth suscite d'ordinaire l'incrédulité, la peur, l'horreur ou le dégoût auprès des non-initiés.

Si l'amusement ressenti tient à l'incongruité vite perçue entre le billet vert et le billet contrefait, l'efficacité de la passe tient à la dissolution réussie entre le dicible et l'indicible, entre ce qui est dit et ce qui ne l'est pas ou ne peut l'être. Or, constat aussi banal que maintes fois répété, dicible et indicible (et/ou visible et invisible) dans notre monde hyperréel sont largement construits, formatés et générés par la médiasphère.

Dirait Jean Baudrillard, le Deception Dollar est une réponse, un contre-don lancé aux médias et à leur monologue en circuit fermé sur les événements du 11 septembre. Cette contrefaçon parodique nous dit que le discours médiatique au sujet de 9/11 est de la frime, de la camelote, de la fausse monnaie. Incapables de transmettre leur message dans les médias de masse (mais aussi alternatifs), les créateurs du Deception Dollar ont simplement opté pour la meilleure des stratégies devant un obstacle jugé insurmontable : le contourner. Et en inventant cet admirable petit objet de passe. Alors que le dollar américain pique du nez et que la réserve fédérale US semble perdre sa mainmise sur les marchés financiers internationaux, l'humour de la passe rend le message plus facile à avaler. Mana diraient les anthropologues. Petite pilule rouge ajouteront les truthers.

Mais ce petit bout de papier n'est pas que parodique, il véhicule aussi de l'information critique. Au recto et au verso y figurent les adresses de certains des portails Internet les plus en vue du mouvement. Et ceci nous amène à l'assemblage et à la vascularisation proprement dits du mouvement 911Truth : celui-ci est une créature d'Internet, il n'existerait probablement pas sans l'existence préalable de la toile. C'est sur celle-ci qu'il diffuse son discours, qu'il s'assemble et rassemble, que ses membres se rencontrent et communiquent entre eux.

Des centaines de portails, de forums de discussion, de pages web personnelles et de blogues consacrés à 9/11 s'activent à diffuser des analyses originales, des pétitions, des dépêches et des communiqués de presse, à annoncer les dernières parutions, les sorties imminentes d'ouvrages attendus ou d'un nouveau documentaire, à publiciser les événements, les rassemblements, les conférences et les symposiums nationaux ou internationaux, à donner des conseils, des informations pratiques, des 'trousses de débutant', des liens d'intérêt, des anthologies de textes, etc. A ce réseau enchevêtré, s'ajoute aussi l'accessibilité, la possibilité de visualiser et de télécharger gratuitement, notamment sur GoogleVideo et Youtube, de nombreux documentaires indépendants qui ne sont pas diffusés ailleurs (le controversé documentaire Loose Change serait d'ailleurs, dit-on, le documentaire le plus souvent visualisé et téléchargé sur la toile).

La souplesse et l'informalité organisationnelle du mouvement tiennent d'ailleurs à cette constellation virtuelle mouvante. Si plusieurs regroupements se font sur une base localisée, en s'identifiant à une ville, une localité ou un État, leur visibilité et leur accessibilité tiennent à leur présence sur la toile et à leur affiliation à des portails achalandés (voir la liste des Grassroots Contacts sur 911Truth.org).

Certains portails ont une certaine ascendance sur l'ensemble du mouvement. C'est le cas notamment de 911truth.org, de 911citizenswatch et de 9/11 Visibility Project (ainsi que les clos mais toujours opérationnels Fromthewilderness et Family Steering Committee). Ces sites sont plus imposants et exhaustifs, plus généralistes et activistes et disposent manifestement de plus de ressources humaines et financières.

D'autres sites Web poursuivent des objectifs plus ciblés. Certains se veulent archivistes : The 9/11 Reading Room et Cooperativeresearch.org. Plusieurs s'intéressent à des objets précis (l'attaque au Pentagon, le sort du vol 93 en Pennsylvanie, l'effondrement des tours du WTC, l'effondrement du WTC7, critique du rapport de la commission Kean, etc.), à des problématiques définies (étude du terrorisme d'État, protection des informateurs, identification et lutte contre l'intox, etc.) ou à des enjeux plus pressants, notamment d'ordre sanitaire, et exigeant des interventions publiques urgentes (911dust.org, 911EnvironmentalAction), etc.

Tendance intéressante, certains regroupements s'y font sur des bases professionnelles : outre Scholars for 9/11 Truth et Scholars for 9/11 Truth and Justice, il y a aussi Veterans for 9/11 Truth, Writers for 911 Truth, Pilots For 9/11 Truth, voire Candidates for 911 truth... D'autres se font sur des bases occupationnelles (Student Scholars for 9/11 Truth, 911campusaction), générationnelles (Youth For 9/11 Truth) et inter-confessionnelles (Muslim-Jewish-Christian Alliance for 9/11 Truth).

Une liste choisie et annotée de plusieurs de ces sites est disponible ici. Cette dernière ne prétend donc pas à l'exhaustivité ; elle n'inclut pas les pages Web personnelles de nombre de chercheurs individuels associés au mouvement.

Bon.

Tout ceci pourrait, devrait même, nous mener à de plus amples considérations au sujet des changements, des transformations des communications populaires et civiques à l'ère d'Internet, de la vidéo numérique et des nouvelles technologies de communication. Internet n'a toujours pas mené au nouvel âge radieux rêvé par ses fondateurs. Concepteurs et usagers semblent plutôt poursuivre une utopie limitée et raisonnée : ils n'aspirent plus à révolutionner le monde mais à y apporter des changements à leur portée immédiate. Mais si l'on se fie à l'exemple de 911truth, les possibilités et les ressources du WWW offrent un contrepoids non négligeable envers la "manipulation" des esprits s'exerçant par les médias de masse, la médiasphère corporative, les campagnes de marketing et de relations publiques, dirais-je par la guerre psychologique dont nous sommes la cible et l'enjeu...

C'est une chose que de subvertir l'autorité institutionnelle par le contenu des messages, c'en est une autre lorsque le médium même change et renverse le rapport de force entre cette autorité et le demos. Or, c'est ce qui semble se produire. Les sceptiques et les dissidents actuels peuvent maintenant diffuser un corpus abondant d'informations, de textes, d'images et de données pour quelques sous (suffit de pouvoir se payer une connexion Internet). Après l'invention de l'écriture et du pouvoir hiérarchique correspondant des scribes, des prêtres et des rois, de l'imprimerie et de la "démocratie", de la télévision, du fascisme et de la surveillance orwellienne, la nouvelle révolution digitale signalerait-elle une nouvelle conscience connective ? Si oui, 9/11 pourrait être le dernier souffle du contrôle télévisuel des masses, et la controverse nourrie par 9/11Truth le premier cri d'une nouvelle démocratie digitale encore balbutiante...

Je sais, j'en fume du bon... Mais si la présente crise de confiance publique envers les institutions est faite pour durer, elle devra bien aboutir à quelque chose. Il importe que les sociologues, les médiologues et leurs collègues des sciences sociales explorent et examinent ce possible renversement médio-politique. Étudier la mouvance 9/11Truth, c'est étudier ce qui pourrait s'avérer l'émergence d'une mutation socio-historique des plus significatives.

Ou peut-être que non.

Cette controverse n'est pas résolue, elle pourrait bien ne jamais l'être. Et Internet est un bien grand bazar... Le vrai, le faux, le plausible et son envers, le vraisemblable et son contraire s'y côtoient, s'y mêlent, s'y confondent et nous confondent avec eux. Garbage in, garbage out ? Si les internautes sont les plus susceptibles parmi la populace de douter du mythe officiel de 9/11, est-ce parce qu'ils y découvrent la "vérité"... ou parce qu'Internet rend les internautes simplement plus débiles ou plus vulnérables aux idées débiles ?

Répondre à ces questions nécessite d'établir et d'examiner les faits... et ce qui en gêne l'examen public. Ce sera pour mon prochain billet.

2 commentaires:

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Par Eric

Vous qui êtes amateur de paranoïa, j'en appris une intéressante via mes contacts à l'interne. Savez-vous que la GRC s'intéresse aux truthers? Et oui, ils ont mis quelques analystes sur la question. Heureusement, les caractères les plus loufoques parmi les truthers ont eu le dessus dans la description du mouvement. Je n'ai pas vu ces rapports, mais peut-être qu'on vous surveille...

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Par Stéphan

Les caractères les plus " loufoques" ?

La GRC se préoccupe en principe des individus dangereux... mais "loufoques" ?

Elle ferait mieux de s'intéresser aux arguments de 911Truth plutôt qu'à ses têtes d'affiche... Enfin, peut-être qu'à force d'enquête, quelques uns de ces analystes reconnaîtront le bien fondé de ces arguments et se feront eux aussi Truthers, qui sait.

En passant, plusieurs des têtes d'affiche intellectuelles (et universitaires) du mouvement sont canadiens : Michel Chossudovsky, Peter Dale Scott, Barrie Zwicker, John McMurtry, A. K. Dewdney, etc. McMurtry et Dewdney sont peut-être d'intérêt pour la GRC. Le premier a écrit un chapitre dans l'ouvrage édité par David Griffin et Peter D. Scott, 9/11 and American Empire: Intellectuals Speak Out, où il égratigne la GRC dans sa lutte contre le FLQ ; le deuxième s'est fait connaître du SCRS par sa correspondance avec le directeur de l'agence (il cherchait à le convaincre de l'imposture de la guerre contre la terreur) : http://physics911.net/advisory

A cela s'ajoute, Crossing the Rubicon, de l'ex officier de LAPD, Mike Ruppert, où de longues pages sont consacrées à la GRC et à son enquête sur le logiciel PROMIS. Ruppert y est sympathique à la GRC, il a même rencontré les agents enquêteurs de l'affaire, mais il y dit des choses inquiétantes pour nous canadiens. Il y parle aussi longuement de l'affaire Vreeland, une des histoires les plus abracadabrantes de 9/11 et qui s'est passée ici. Il a dernièrement séjourné plusieurs mois à Toronto, où il était hospitalisé pour une grave maladie.

J'te laisse, on cogne à ma porte...