mardi 30 janvier 2007

OVNI et parasociologie?

Quelques réflexions supplémentaires tirées de discussions sur l’excellent forum Paranormal-info.com.

Hansen, dans son livre "The Trickster and the Paranormal", explique l’élusivité des phénomènes paranormaux en les décrivant comme des objets ontologiques hybrides, qui se situent à l’interstice de deux mondes, de deux réalités. C’est cette situation ontologique qui crée ce que j’appelle l’effet dynatique, à savoir qu’en étant entre deux réalités, il y a état déstructuré ou déstructurant. Ainsi, le psi, compris comme information temporairement libérée de ses structures, peut être observé comme phénomène. Par exemple, la télépathie est expliqué comme un transfert d’information entre deux personnes (ou plus) mais qui ne semble en aucun cas affecté par la distance physique, ni même le temps. Ainsi, la télépathie est à la fois un objet communicationnel, et un affect (c.-à-d. qui est de l’ordre de l’émotion et donc sans lien avec le temps et l’espace).

Si le paranormal est donc du domaine de l’interstice, il pourrait être envisageable que son étude soit aussi du domaine de l’interstice. Pour aider à pousser cette réflexion plus loin, une typologie utile est celle de Cornelius Castoriadis. Ce dernier distingue quatre étants, ou champs ontologiques fondamentaux, à savoir le monde physique, biologique, le social-historique, et la psyché-soma. Chaque étant n’est pas réductible épistémologiquementà l’autre. Par exemple, on ne peut expliquer les écosystèmes naturels à partir de la physique quantique, ni expliquer les stratifications sociales à partir de la psychanalyse.

En gardant cette typologie à l’esprit, le paranormal pourrait se décrire comme un champ ontologique à la jonction des quatre autres. La parapsychologie a bien sûr démontré que les phénomènes psi ont des assises dans la psyché-soma. Mais le paranormal couvre aussi des questions qui touchent à l’univers physique, comme la matérialisation, les poltergeists et les ectoplasmes. D’une manière similaire, le monde biologique est aussi touché par le paranormal, que ce soit les questions de guérisons inexplicables ou les apparitions d’entités étranges, documentées depuis la nuit des temps. Il reste donc les liens avec le social-historique.

Les recherches sceptiques qui invoquent des analyses dites psychosociales offrent, curieusement, une porte d’entrée. Certains phénomènes paranormaux de grande ampleur, que les parapsychologues nomment du macro psi, ont clairement de aspects qui ne peuvent se comprendre que par une approche sociologique. L’évolution des vagues d’observations OVNI, passant de dirigeables à la fin XIXe - début XXe, aux avions fantômes des années 1930, et aux fusées fantômes de l’après 2e Guerre mondiale semblent indiquer des interactions qui s’expliquent mieux en passant directement à un niveau d’analyse sociologique. Jacques Vallée a aussi démontré que les témoignages sur les occupants des OVNIs sont très similaires aux récits folkloriques de lutins et de farfadais. Les apparitions mariales semblent aussi avoir des propriétés du même ordre.

Pour revenir à la question OVNI, une analyse basée sur une ontologie hybride pourrait se concevoir. Par exemple, un conflit social non-résolu et non-exprimé pourrait se constituer en inconscient collectif (compris ici dans un sens beaucoup plus large et souple que Jung et Freud), et s’exprimer en “psi social” que l’on décrirait comme des OVNIs. Les témoins individuels n’ont rien à voir de particulier avec l’inconscient collectif. Ainsi, on a une observation de l’ordre de la psyché-soma d’un phénomène de l’ordre du social-historique. Cela n’est pas en soi nouveau. Le témoins individuels et sophistiqués d’évènements historiques majeurs se trouvent dans la même situation. Mais ce qui est plus intéressant est qu’une ontologie hybride appelle aussi à une épistémologie hybride, si on veut éviter les pièges du réductionisme. Ainsi, une union inusité de la parapsychologie et d’une “parasociologie”, qui reste à encore à définir, serait nécessaire pour développer des explications plus appropriées d’un phénomène comme les OVNI.

Ici, bien entendu, il faut prendre un grand respire, car l’idée même d’épistémologie hybride va complètement à l’encontre de la pensée occidentale, car cela conduit directement au paradoxe. Comment peut-on réconciller des prémisses de base qui s’opposeraient dans un tel construit? Comment la preuve peut-elle être faite dans un contexte où on fait face à des notions de preuve divergeantes? Comment établir un tel discours qui pourrait demeurer au sein des discours considérés comme fondés sur la raison, ou posé autrement, est-ce qu’une épistémologie hybride n’est pas un autre nom pour le mysticisme? Voilà quelques enjeux de taille, mais qui me semblent pointer dans une direction intéressante, et qui pourraient mettre à contribution la sociologie dans l’étude des phénomènes paranormaux, en eux-mêmes, et pas seulement la croyance en ces derniers comme c’est la cas actuellement.

4 commentaires:

N.E. a dit…

Hello,

je n'ai pas lu le livre de Hansen. L'élusivité du phénomène paranormal est une notion clef mais peu considérée : Méheust la traduit pour les cas d'OVNI, Lucadou et quelques autres l'utilisent pour les phénomènes psi en général. Longtemps, les parapsychologues se sont contentés d'expliquer l'élusivité psychologique (variations de la motivation, etc.) tandis que les plus matérialistes attribuaient la diversité des résultats à des conditions comme "phénomène en plein jour" / "phénomène en lumière rouge". A développer !

Que la télépathie soit représentée à la fois comme un objet communicationnel et comme un affect, conduit bien à un paradoxe. Faut-il réfléchir à partir de ce paradoxe ? Il ne me semble pas aller de soi, car le modèle implicite de la télépathie comme "communication de pensées" n'est pas tout à fait légitime.

Castoriadis est intéressant : mais les divisions qu'il instaure saute dans le cas de la parapsychologie ! Quelle utilité alors ? Celle de montrer que l'étude du psi est forcément "transdisciplinaire", et qu'à vouloir appliquer un savoir sur le psi, on doit admettre de remettre en cause ce savoir (en particulier, effet de l'observateur).

Sur l'inconscient collectif et ses possibilités d'expression, je te conseille : 1) de ne pas associer Freud et Jung sur cette notion ; Freud n'admet qu'un inconscient collectif phylogénétique, alors que Jung conçoit son aspect dynamique et interactif. 2) de lire ce texte sur Jung qui fait le lien avec la parapsychologie http://sciencesphilo.free.fr/Approche%20jungienne%20de%20la%20parapsychologie.pdf

Tu dis : "Les témoins individuels n’ont rien à voir de particulier avec l’inconscient collectif." Affirmation à discuter : ce serait gommer le remaniement individuel des matériaux collectifs. On trouve cela en ethnopsychiatrie où les représentations collectives servent à exprimer les conflits idiosyncrasiques (cf. Devereux). Faut-il se contenter d'une recherche d'invariants visant à faire émerger des structures qui auraient valeur d'objectivité ?

Je pense que ton épistémologie hybride peut ne pas virer au mysticisme (attention aux néologismes sur cette pente !). Il y a fondamentalement un problème de logique énoncé par Lupasco (et appliqué à la parapsychologie par Marc Beigbeder). Une logique du contradictoire en tiers inclus permet de penser la potentialisation-actualisation des phénomènes, etc.
http://gerp.free.fr/PA10_logique.htm

Bravo pour tes réflexions !

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Par Stéphan

A chaud comme ça, je pense que certains ouvrages de Baudrillard pourraient être qualifiées de "parasociologiques". Je pense notamment à Les stratégies fatales où il décrit un univers où les liens ne sont pas de causalité mais d'affinité, de réversibilité et d'enchaînement. Par moment, ça me rappelait certaines remarques passées de Jacques Vallée. Il me faudrait le relire.

Je connais mal la littérature à ce sujet mais les notions d'objet-frontière et d'objet liminal ne relèvent-elles pas d'une épistémologie hybride ?

N.E. a dit…

Je ne connais pas Baudrillard ; peut-être que ça vaut le coup.

Tous les parapsychologues ne présentent pas leur objet comme "objet frontière" ou "objet liminal". Cela est le point de vue "disciplinaire" qui part du mainstream en direction des corps étrangers (supposées anomalies). Le point de vue transdisciplinaire amène à déjouer un tel objet, et à fonder une épistémologie à partir de cet objet "central". Ainsi, la logique lupascienne du tiers inclus permet d'appréhender logiquement les phénomènes paranormaux, et s'appliquent à tous les domaines de connaissance. Le point de vue systémique de Lucadou permet de voir à l'oeuvre "la signification" et ses effets (y compris quantitatifs), mais il éclaire d'autres domaines.

Stéphan Keel et Eric Vallée a dit…

Par Eric

Merci messieurs pour vos commentaires.
Je suis d'accords avec la plupart d'entre-eux. Je me dois de reformuler et d'ajouter à la réflexion après un peu plus de lecture.